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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Hélène Monette et la beauté du monde

Monette A

À l’Hôtel de ville de Montréal hier matin, à l’invitation de l’organisme Les Artistes pour la paix qui y tenait son gala annuel, j’ai rendu hommage à mon amie Hélène Monette, fauchée par le cancer le 25 juin dernier, deux semaines après son cinquante-cinquième anniversaire de naissance. Si l’on fait abstraction de mes brefs propos recueillis par Le Devoir au moment de l’annonce de son décès, je n’avais pas encore pris la parole publiquement sur cette disparition et sur le deuil qui en découle. Pierre Jasmin, le président des Artistes pour la paix, et Lili Monette-Crépô, la fille d’Hélène, ont également salué la mémoire de l’écrivaine dont on voulait souligner le constant souci de la justice sociale.

Puisque quelques personnes m’ont demandé de le rendre public, voici le texte de mon allocution.

Stanley Péan HM

D’abord, j’aimerais remercier Les Artistes pour la paix pour cette occasion qui m’est aujourd’hui offerte de témoigner ici, pour la première fois en public depuis le décès d’Hélène Monette, de mon admiration pour l’écrivaine disparue et de mon affection pour mon amie.

C’est un mot que je n’ai jamais prononcé jamais à la légère, « amie ». Ceux qui me connaissent depuis longtemps le savent; et Hélène le savait. Je ne m’éterniserai pas ici sur les circonstances de notre rencontre et me contenterai de dire que si la satanée maladie ne nous l’avait pas ravie en juin dernier, Hélène et moi compterions aujourd’hui un peu plus de vingt ans d’une amitié en dents de scie peut-être, mais profonde, sincère et rare.

Juste pour vous dire, pendant la tournée de Limoges et des environs l’occasion de laquelle nous nous sommes connus, Hélène m’avait sarcastiquement surnommé « STAN FM » en raison de ma loquacité qui apparemment l’agaçait.

« Il est où le bouton pour l’éteindre ? » demandait-elle, sur le ton de la blague, à nos compagnons de voyage.

C’était, je le précise, bien avant mon entrée à Radio-Canada. Comme quoi en plus d’être d’une lucidité extrême, mon amie était peut-être aussi clairvoyante.

Au retour de ce séjour en France, moi, je l’appelais tout simplement ma petite sœur, en dépit du fait qu’elle était un tout petit peu plus âgée que moi.

Évidemment, bien avant de m’être frotté à l’humour gentiment moqueur, parfois un brin noir de la femme, j’avais déjà fréquenté l’œuvre, déjà imposante, de l’écrivaine accomplie : les recueils de poèmes Montréal brûle-t-elle ? (1987), Kyrie Eleison (1994) et les romans et nouvelles parus à l’époque, Crimes et châtouillements (1992), Le Goudron et les plumes (1993), Unless (1995). Est-il besoin de rappeler qu’en poésie comme en prose, l’écriture raffinée d’Hélène Monette était le véhicule de son indignation, de son engagement et de son humanisme ? Sans doute pas, enfin pas à ceux et celles qui comme moi la tiennent en haute estime.

Lors d’une entrevue accordée au Devoir, dans la foulée de la parution de son livre Où irez-vous armés de chiffres ? (2014), elle avouait candidement : « Je ne choisis pas ce sur quoi j’écris. Si je choisissais, j’écrirais du roman historique et je gagnerais honorablement ma vie. Je reçois la violence sociale et j’en reparle. Ça me rentre dedans, ça m’indigne, ça m’émeut, ça me traverse, ça fait partie de ma vie. On ne parle que de ce qu’on connaît ou de ce qui nous bouleverse. »

Vous vous souviendrez que cette colère, cette tristesse, ce ras-le-bol qui souvent nourrissaient les vers flamboyants d’Hélène avaient pour contrepartie sa tendresse pour les êtres chers et l’indispensable esprit de solidarité, cette attention à l’Autre qui lui semblaient nous faire défaut individuellement et collectivement, en cette époque tapageuse et véhémente.

Dans un poème intitulé « Le vacarme » (Le Blanc des yeux, 1999), Hélène écrivait d’ailleurs :

Le bruit permet de développer
d’extrêmes capacités d’indifférence
quand tout est à plein volume, la lassitude universelle
fait à peine un bruit de mouche contre la vitre
on n’entend même plus l’existence effleurer la transparence des yeux

Hélène Monette n’aimait pas qu’on parle ou écrive pour ne rien dire.

Hélène Monette n’aimait pas le bruit.

Entendons par là tout ce qui nous distrait inutilement du monde tel qu’il est, avec ses injustices et ses tragédies mais aussi ses p’tits bonheurs et ses plaisirs trop fugaces, tout ce qui nuit à notre présence dans l’univers, tout ce qui nous empêche de voir la beauté du monde et d’entendre distinctement le chant tantôt triste, tantôt allègre de nos concitoyens et concitoyennes, surtout les plus démunis. Pas seulement ceux et celles qu’un système autoritaire aux prétentions démocratiques relègue sauvagement et sans appel dans la misère et la marginalité, mais surtout ces âmes bâillonnées que ce système prive du droit de parole, du droit d’existence qui est le corollaire du premier.

La beauté du monde, disais-je. Elle y croyait, Hélène Monette. Je veux dire en cela que malgré la cupidité des puissants qui marchent, insensibles, vers on-ne-sait-trop-où, armés de chiffres, malgré l’égoïsme et l’indifférence, malgré la terrible brutalité du réel, elle gardait espoir en le potentiel des hommes et des femmes de s’élever, de dépasser leur modeste condition pour embrasser quelque chose de plus grand, de plus merveilleux. Elle doutait parfois, mais continuait tout de même de croire.

Je n’en voudrais pour preuve que les premières pages de son recueil de proses et de poèmes Là où était ici (2011)

Comme une vieille savate dans la savane
je me penche sur la beauté du monde
pas grand-chose
des panneaux-décors offrent des destinations touristiques extrêmes
ça m’apprendra à m’occuper de la cigale
du brin d’herbe et du caillou
dans un monde pareil
où la beauté, même laide, se paye
se réserve
s’achète en forfait, en formule-privilège
avec des étoiles, quatre ou cinq
après
c’est la vraie beauté des étoiles naturelles
dans le ciel magané dans la pollution lumineuse, ces brillances clignent de la pointe
pour nous émerveiller
pour éviter le torticolis alors qu’on ne voit pas
grand-chose non plus
en haut je me repenche sur la beauté
courbe et plie
et par terre, il y a une carte postale de la millième
merveille du monde
la photo est floue
un désastre se tient pourtant dans l’image explosée
dans un dégradé de couleurs fauves
deux, trois promeneurs isolés, le nez au vent
apparaissent
comme des as du sublime
tremblotant

Comme tous ceux et celles qui ont eu la chance de côtoyer Hélène Monette, car je considère que c’est une chance, j’ai partagé au fil des vingt dernières années des moments extraordinaires et intenses en sa compagnie. À boire et à manger, à rire et à chanter, d’ivresse et parfois et de désespoir. À échanger sur la musique, sur la chanson, ces arts si près et pourtant si loin de la poésie. À discuter de la littérature et de ses artisans, ici ou ailleurs, de ce milieu auquel nous appartenons l’un et l’autre. À échanger sur le monde, ce foutu monde, le seul que nous ayons et qui nous déplaisait parfois, que nous tentions d’imaginer autre, plus équitable, moins froid, moins sourd, moins cruel.

Nous avons amplement exagéré, comme elle le faisait dire à la narratrice du Goudron et des plumes à propos d’autres débordements qui n’avaient rien à voir avec les nôtres.

Nous avons eu nos prises de tête et nos prises de bec, jamais très graves, parce que j’aimais beaucoup trop ma petite sœur pour véritablement me brouiller avec elle. Mais je suis têtu, je le reconnais, et j’ai parfois voulu avoir le dernier mot, ce qui en soi pouvait s’avérer tout un défi.

J’ai aimé Hélène, comme je continue de l’aimer en son absence. Pour ce courage et cette opiniâtreté dont elle a fait preuve jusqu’à la fin, jusqu’à l’heure de regarder la Mort dans le blanc des yeux.

Aujourd’hui, en ce lieu, en cette circonstance quand même un peu solennelle, plus de six mois après qu’elle se soit définitivement tue, j’aimerais lui laisser le dernier mot, en concluant mon allocution sur son poème « Ne les (nous, vous) tuez pas ! »

Je les ai tous embrassés
tous, jusqu’à la fin du monde
c’est pourquoi je suis là
la seule raison
c’est le contact chaud
la poussière des joues
le sourire, parfois
et la lumière
quand nos yeux sont l’éclaircie
c’est pourquoi je suis présente
quand l’autre est là, en vie

car s’il est mort, massacré, tué, disparu
qu’est-ce que je suis?
qu’est-ce que je fais
jusqu’à la fin
qu’est-ce que j’ai dit?

nous sommes tous complices
et qui n’est pas, aujourd’hui, très troublé et triste?
quoi faire, petits frères?
que faire, tendres sœurs?

le bonheur, c’est de vous connaître tous
en autant qu’on ne s’entretue pas

February 16th, 2016
Catégorie: Commentaires, Événements, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

4 commentaires à propos de “Hélène Monette et la beauté du monde”

  1. Nicole Vachon a écrit:

    Très beau texte, Stanley Péan. On y lit tout l’amour que vous avez pour votre amie. Condoléances, à nouveau. 🙁

  2. Marie-Claude Cloutier a écrit:

    Je suis troublée et triste. Très bel hommage Stanley. Elle me manque aussi.

  3. Marie Josée Flamez a écrit:

    Merci infiniment, je découvre ici un trésor qui s’est logé dans mon coeur battant.

  4. Sorine Coupet a écrit:

    Mes sympathies, Stanley. C’est curieux que tu ramènes mon attention sur Hélène Monette, car j’avais oublié son nom, mais j’ai un souvenir très vif d’elle lors d’une soirée de poésie en hommage à Senghor. Sa livraison et sa voix m’avaient marquée. Dommage qu’elle soit partie si jeune.

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