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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Communication de Stanley Péan, président de l’UNEQ, présentée au Comité permanent de Patrimoine canadien

Mesdames et Messieurs du Comité,

Je tiens d’abord à vous remercier de cette occasion de me faire entendre au nom de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, à la présidence de laquelle j’ai été élu pour le premier de trois mandats consécutifs en décembre 2004.

Dans un premier temps, laissez-moi vous présenter l’UNEQ. Syndicat professionnel fondé le 21 mars 1977 par une cinquantaine d’écrivains réunis autour de Jacques Godbout, l’UNEQ regroupe près de 1 400 écrivains : des poètes, des romanciers, des auteurs dramatiques, des essayistes, des auteurs pour jeunes publics, des auteurs d’ouvrages scientifiques et pratiques. L’Union s’est donné pour mandat de travailler à la promotion et à la diffusion de la littérature québécoise, au Québec, au Canada et à l’étranger, de même qu’à la défense des droits socio-économiques des écrivains. Elle a été reconnue en 1990, comme l’association la plus représentative des artistes du domaine de la littérature, en vertu de la Loi sur le statut professionnel des artistes en arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs (L.R.Q., chapitre S-32.01). L’UNEQ a aussi été accréditée, en 1996, par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs pour négocier, de façon exclusive, avec les producteurs relevant de la compétence fédérale, afin de conclure des accords-cadres qui définissent les conditions d’embauche des travailleurs professionnels autonomes du secteur littéraire.

Mes collègues des autres disciplines représentées à la table de concertation qui s’est donné pour nom le Mouvement pour les arts et les lettres vous auront sûrement entretenu des conséquences de la disparition des programmes PromArt et Routes commerciales, pour les arts de la scène, les arts visuels, les arts du cirque, les nouveaux médias et les métiers d’art. Je concentrerai mon intervention sur l’importance de ces programmes dans le seul domaine littéraire. Je ne vous parlerai pas de l’impact direct de ces programmes sur l’UNEQ, qui ne comptait pas au nombre de leurs bénéficiaires pour des raisons évidentes, mais j’aborderai la question du rayonnement international des œuvres de certains membres de notre association, rendu possible grâce au soutien du gouvernement fédéral.

Ai-je vraiment besoin d’insister, en évoquant ce rayonnement international, sur le caractère hautement symbolique des échanges culturels et commerciaux qui s’établissent entre pays? J’ose espérer que cela n’est pas nécessaire. Quiconque a assisté au lancement d’un livre, à une conférence, à une soirée de lecture d’un écrivain canadien à l’étranger n’a pas manqué de souligner que les invités, canadiens ou locaux, s’entendent systématiquement pour affirmer que ledit événement littéraire contribuait au rapprochement entre les peuples, à une plus grande compréhension mutuelle de nos cultures respectives.

Parmi les programmes abolis, PromArt était le plus sollicité par les éditeurs, qui obtenaient grâce à lui une aide pour le paiement des frais de voyage des écrivains invités à la rencontre des lecteurs étrangers dans le cadre de salons du livre, de lancements ou de toute autre activité liée à la diffusion de son livre hors-Canada. Seuls les frais de voyage étaient couverts par PromArt. C’était donc un programme à frais partagés, mais il était vivement apprécié par les éditeurs et leurs écrivains, puisqu’il diminuait le coût de ces campagnes promotionnelles et facilitait les ententes avec les éditeurs étrangers qui avaient traduit le livre ou avec les organismes étrangers qui invitaient les auteurs dans leur pays.

C’est la présence de nos écrivains et éditeurs à des rencontres internationales, des colloques et des salons du livre qui aide la littérature canadienne et québécoise à rayonner sur la scène internationale. En août dernier, Pascal Assathiany, directeur des Éditions du Boréal, rappelait que le programme PromArt avait permis à deux écrivains publiés chez lui de se faire connaître dans le monde entier, nommément Gil Courtemanche (auteur d’Un dimanche à la piscine à Kigali) et Gaétan Soucy (auteur de La petite fille qui aimait trop les allumettes), qui ont vu conséquemment leurs ouvrages traduits dans plusieurs langues. «Grâce au PromArt, [ces écrivains] ont été invités par des ambassades canadiennes de plusieurs pays, notamment celle des Pays-Bas, confiait l’éditeur au journaliste Paul Journet de La Presse. Ces invitations les ont aidés à être traduits dans plus de 20 langues. Environ 3000 $ ou 4000 $ suffisaient pour payer leur billet d’avion, leur séjour et organiser les rencontres.» Au cours des cinq dernières années, selon M. Assathiany, entre 25 000 $ et 30 000 $ ont ainsi été investis dans le rayonnement des œuvres publiées chez Boréal; même s’il fallait multiplier ces chiffres par le nombre de maisons d’édition québécoises dont la production a connu des percées à l’international (une demi-douzaine, tout au plus), on obtiendrait des sommes à la fois modestes et pourtant très utiles, vous en conviendrez avec moi.

Mais encore. De manière générale, l’Association nationale des éditeurs de livres profitait du programme Routes commerciales. En 2008, elle a touché environ 15 000 $ grâce à ce programme, subvention qui permet à l’organisme de participer à l’Escale du livre de Bordeaux, à la Foire du livre de Londres et de mener à bien un projet en Chine, dont le succès a des incidences directes sur la carrière des écrivains dont les œuvres bénéficient à ces occasions de diffusion hors de nos frontières. Nonobstant les allégations de l’ex-ministre du Patrimoine, Mme Josée Verner, allégations reprises par son successeur M. James Moore, à l’effet que ces programmes étaient mal gérés et inefficaces, les intervenants du milieu de l’édition estiment pour leur part que, toutes modestes que furent les subventions à leur secteur, ces sommes d’argent servaient leur fonction – ce qui rend la suppression des programmes d’autant plus regrettable, de l’avis de tous. Pour les initiatives susmentionnées, «la plus grande part du budget provient de Québec Édition (partenariat ANEL-SODEC) et de l’Association pour l’exportation du livre canadien, d’expliquer Pierre LeFrançois, directeur général de l’ANEL au même Paul Journet de La Presse, en août dernier. «Mais pour un organisme comme le nôtre, chaque sou compte.»

Certains esprits chagrins aiment répéter que l’édition québécoise et canadienne est trop subventionnée; ils devraient savoir que l’aide obtenue des gouvernements ne compte que pour 7 % des revenus totaux de cette industrie. Quant aux sommes globales des subventions attribuées au milieu du livre, elles sont infiniment moindres que celles empochées Bell Helicopter ou Bombardier. Compte tenu du fait que les meilleurs de nos écrivains bénéficient de bourses de soutien à la création que leur verse Patrimoine canadien par l’entremise du Conseil des arts du Canada, la suppression des programmes d’aide à la représentation à l’étranger et à la promotion et à l’exportation des œuvres envoie un message pour le moins paradoxal. En l’absence de nouvelles mesures d’appui au rayonnement mondial de notre littérature, «c’est, pour citer à nouveau Pascal Assathiany, comme si on subventionnait la production d’avions de Bombardier, mais qu’on ne les aidait pas à les vendre sur le marché international.»

Nonobstant la prétendue inefficacité des programmes PromArt et Routes Commerciales invoquée par l’ex-ministre Verner (et dont la preuve concrète n’a toujours pas été établie), leur abolition semble s’inscrire dans la suite d’une logique inquiétante à mes yeux et à celles de mes collègues. Depuis le premier mandat au pouvoir des Conservateurs de Stephen Harper, nous avons pu déplorer le démantèlement des services culturels des ambassades canadiennes qu’il est de plus en plus difficile de ne pas interpréter comme la manifestation d’une volonté idéologique manifeste de ne pas faciliter la circulation des artisans ni les fruits d’une industrie qui contribuent autant à l’image de marque du Canada qu’à son dynamisme économique.

Une déclaration en ce sens du ministre Jim Flaherty au National Post en septembre dernier, à propos de l’abolition de ces programmes, continue de me tourmenter : «Nous sommes un gouvernement conservateur et les ministres du Cabinet portent eux aussi ce chapeau, avait-il affirmé sans sourciller. Ce n’est pas un processus bureaucratique, mais une décision prise par des ministres qui siègent au Conseil du Trésor et qui ont leurs idées sur ces programmes.» Inutile de vous dire que j’aimerais avoir tort de craindre le pire…

Mesdames et Messieurs, merci encore de m’avoir entendu.

Ottawa, le 9 mars 2009