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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

À la mémoire de Gaston Miron

je me dresse dans l’appel d’une mémoire osseuse
j’ai mal à la mémoire car je n’ai pas de mémoire
dans la pâleur de vivre et la moire des neiges
je radote à l’envers je chambranle dans les portes
je fais peur avec ma voix les moignons de ma voix

Gaston Miron, «Le Damned Canuck»

La mémoire, donc. Vous me permettrez quelques mots sur ce thème fondamental dans l’œuvre de Gaston Miron, en guise de liminaire à la cérémonie qui nous réunit ce matin.

À tout juste quelques minutes de marche d’ici, à la défunte galerie d’art La Louvre, rue Saint-Denis, se tenait il y a une vingtaine d’années le lancement de Québec Kaléidoscope, un collectif de nouvelles auquel j’avais participé. À cette occasion, je me suis vu accoster par le professeur Peter Klaus, grand spécialiste de la littérature québécoise associé à la Freie Universität de Berlin. Le professeur Klaus avait signé un papier sur mon premier recueil de nouvelles et me priait de ne pas quitter la galerie trop tôt; il avait invité au lancement Gaston Miron, auquel il tenait absolument à me présenter. Ai-je besoin d’insister sur le caractère cérémonial que devait acquérir cette rencontre dans l’esprit du jeune étudiant en lettres québécoises et aspirant écrivain que j’étais alors?

Telles furent donc les circonstances de la première de ces trop rares fois où je m’étais trouvé en présence du flamboyant auteur de L’Homme rapaillé. Miron ne connaissait ni mon livre ni moi mais, alerté par son ami Peter Klaus, il avait voulu en savoir plus sur mon travail, comme il manifestait un intérêt constant et sincère pour toutes les nouvelles voix, même aussi mineures que la mienne, qui émergeaient dans la chorale de notre littérature – de cela, mes aînés comme mes contemporains peuvent témoigner. L’échange avec lui m’avait fasciné, d’autant plus que l’homme savait tenir le crachoir et manier le Verbe. À ses dires, Miron gardait un souvenir aussi ému qu’impérissable des soirées du Perchoir d’Haïti, où la crème des poètes originaires de mon île natale (les Legagneur, Laforest, Phelps et consorts) avaient côtoyé fraternellement leurs contemporains natifs-nataux du pays du Québec à la fin des années soixante.

Au fil de nos rencontres, Gaston Miron n’a d’ailleurs jamais manqué une occasion de me raconter les détails de cette solidarité qui unissait tout naturellement les littératures du Québec et d’Haïti, bien avant que le concept de la Francophonie ne s’impose. Près de vingt ans plus tard, je garde moi-même un souvenir très vif de ces échanges trop rares mais toujours cordiaux et stimulants avec le poète, que je croisais à l’occasion à des lancements, des soirées de lectures, des colloques et autres événements saisonniers de notre vie littéraire.

On l’a qualifié tour à tour d’alchimiste, de phare du futur, de défricheur, d’orfèvre et de passeur. Éditeur, poète engagé et militant, infatigable défenseur de la langue et de la littérature, grand arpenteur du pays à bâtir, fervent amoureux des mots, Miron était aussi un farouche gardien de la mémoire collective, qu’il tenait pour un véritable trésor patrimonial. N’a-t-il pas écrit : Nous ne serons jamais plus des hommes si nos yeux se vident de leur mémoire.

C’est un peu de cela dont il sera question, en ce jour de l’inauguration de cet édifice qui portera désormais son nom.