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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Le Far West

Le Far West (1955) de Jean-Paul Lemieux

 

Un faux Stetson trop grand pour moi calé jusqu’aux oreilles, un poncho à la Clint Eastwood sur les épaules, une cigarette Popeye au coin des lèvres et un Colt jouet dans chaque poing, je m’étais interposé entre ma cousine Jo et mon père qui s’apprêtait à lui administrer une correction pour je ne sais plus quelle offense.

J’avais cinq ans, le thème d’Il était une fois dans l’Ouest en tête et, surtout, la ferme intention de m’imposer tel un valeureux cowboy, un de ces défenseurs de la veuve et de l’orphelin dont j’admirais les exploits sur petit ou sur grand écran.

La perspective de goûter moi aussi à la punition si je ne m’écartais pas du chemin de mon père avait cependant fait fondre mes ambitions héroïques comme crème molle au soleil.

Et puis, qui me disait que Jo n’avait pas mérité cette correction, au fond?

*

Je la surnommais Véhémente, un sobriquet affectueux qui en disait long sur son impétuosité et sur son caractère explosif. Pour son anniversaire, je lui avais offert cette manière de voyage de noces. Et pendant cette trop brève trêve, j’avais candidement cru qu’il était possible de sauver notre couple du naufrage.

À chacun son Eldorado, je suppose.

Dès notre retour, nos affrontements verbaux avaient repris de plus belle, avec davantage de virulence, pour un oui ou pour un non. Cette tendre guerre que nous nous livrions à nos corps défendant, mais surtout ses accusations gratuites et ses soupçons injustifiés m’avaient brisé moralement, émotivement et intellectuellement.

Cette nuit-là, celle du point final, évoquant une autre de mes infidélités imaginaires, Véhémente m’avait jeté hors de chez elle à coups de poings sur la poitrine et dans le dos en hurlant à tue-tête qu’elle ne voulait plus jamais me revoir de toute sa vie.

Comme au moment de sauver Jo de la colère de mon père, le courage m’avait manqué et je n’avais pas su offrir à cette femme que j’aimais pourtant plus que la vie même la résistance qu’il aurait fallu lui opposer.

Avec des si, dit le proverbe.

*

Je ne suis finalement jamais devenu un cowboy, ne supporte guère l’odeur et la compagnie du bétail, ne suis au fait jamais monté à cheval.

Et je ne me suis pas tapé de western depuis tellement d’années.

À quel âge renonce-t-on pour de bon à devenir le justicier sans peur et sans reproche dont la seule mention du nom faisait trembler ceux qu’on avait le culot de qualifier de Sauvages?

En cette ère de village global et de réseaux sociaux planétaires, elles me semblent si éloignées, ces Grandes Plaines et cette mythique frontière dont je rêvais, gamin, d’être le cavalier émérite, toujours prêt à dégainer plus vite que mon ombre pour régler une injustice.

L’époque n’a plus rien d’épique et si peu de héros à nous proposer.

Avec l’extermination quasi totale du bison d’Amérique par l’homme blanc, la plupart des tribus amérindiennes ont dû s’installer dans des réserves pour ne pas mourir de faim.

Et je ne dirai rien des dinosaures…

 

Nouvelle inédite inspirée de la toile de Jean-Paul Lemieux, Le Far West (1955), et écrite expressément pour l’événement “De la couleur des mots” présenté au Musée des Beaux-Arts de Montréal le 13 septembre 2014, dans le cadre de la vingtième édition du Festival International de la Littérature (FIL).