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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Mentez, mentez…

Une femme, que j’ai trop aimée pour mon propre bien, avait pour dicton: «À quoi bon dire la vérité quand on peut tout aussi bien mentir?» Tout ça bien entendu, c’est de l’histoire ancienne et je ne suis même plus certain de distinguer le vrai du faux. Normal. Nous mentons tous, si l’on en croit le titre du roman de Normand de Bellefeuille. Nous mentons tous et tout le monde nous ment. Constamment. Éhontément. Et pas toujours subtilement.

Le monde nous ment dès nos premiers balbutiements. Il nous laisse entendre qu’il sera beau et généreux, que les aurores sauront effacer au jour le jour les outrages et les humiliations quotidiennes. Que le bonheur est posssible, que le bonheur est à notre porte, que le bonheur est un chat, un chat nommé Napoléon, un chat conquérant qui vous aimera éternellement en échange de quelques câlins et d’un bol de pâtée à saveur de crevettes.

N’en croyez rien. Ne croyez pas le monde. En vérité, en vérité, je vous le dis, le monde nous ment dès les premiers moments.

Un ami s’étonnait un jour, avec un semblant de candeur, de ce qu’une femme désespérément éprise de lui ait pris au sérieux sa demande en mariage, qu’elle aille même la lui remettre sous le nez au moment de leur rupture. Ni l’un ni l’autre n’en était à ses premières armes en matière de subterfuges amoureux et pourtant leur histoire avait pris des allures de mélodrame mexicain.

— Bien sûr que je lui avais promis le mariage, concédait en toute bonne foi ce philosophe. Mais elle n’était quand même pas obligée de me croire.

La publicité nous ment. Perpétuellement. Le bonheur ne tient pas à un téléphone cellulaire, une bière sans arrière-goût, une voiture allemande, un sourire-dentifrice ou une gomme à mâcher sans sucre. Le bonheur ne tient pas non plus à un régime enregistré d’épargne-retraite, un déodorant au parfum de printemps, une boîte de serviettes hygiéniques ou à de la pâtée pour chats à saveur de crevettes. Ne croyez pas ce que raconte la publicité. La publicité ment parce qu’elle ne peut faire autrement.

«Pour t’aimer, j’ai menti, disait la chanson. Pour t’aimer, j’ai triché…» Et j’ai payé pour ces feintes, ces mystifications. À menteur, menteuse et demie. «Les mots viennent aisément aux lèvres des femmes et les mensonges plus promptement que la vérité,» disait le prince Namor des bédés de mon enfance.

Je ne l’avais pas cru ou j’avais oublié ou il ne sentait pas bon.

Les politiciens mentent. Abraham Lincoln admettait qu’il était possible de mentir à une partie de la population tout le temps et de mentir à toute la population une partie du temps, mais soutenait qu’il était impossible de mentir à toute la population tout le temps. Robert Bourassa, lui, préférait hésiter.

Un verre d’eau dont on a bu la moitié est-il à demi-vide ou à demi-plein?

Le démagogue ne ment pas, enfin pas tout à fait et beaucoup moins que le comédien au théâtre ou la représentante de produits cosmétiques. Le démagogue se contente de dire tout haut ce que la masse pense tout bas. Il flatte les bas instincts de la masse, l’incite à force d’énormités à croire qu’elle pense comme lui. Le démagogue, au fond, est un chic type qui n’a jamais tué le chat de personne.

Tu disais: je t’aime. Tu disais: j’ai besoin de toi. Tu disais: je te veux dans ma vie pour longtemps. Tu disais: je ne peux imaginer mon monde sans toi. Ce que tu ne disais pas, c’est que la fièvre inspire les plus tumultueux débordements. Et l’amour n’est qu’un mensonge inoffensif, une sublime supercherie conçue par quelques publicistes cokés pour mousser les ventes de la gomme Dentyne.

La démocratie nous ment cyniquement. Cessez d’imaginer qu’elle n’est pas une utopie, qu’elle existe réellement pour le bien du plus grand nombre. En vérité, en vérité, la démocratie ne sert que les intérêts de l’élite. On est toujours le Tiers-Monde de quelqu’un d’autre, même quand on habite Outremont ou Westmount. Ne croyez plus en la démocratie. La démocratie nous ment.

De tous les doucereux mensonges ronronnés au creux de l’oreille, il n’est pas de plus susceptible d’être démasqué que la promesse d’un amour éternel. Les amants mentent. Les amants se mentent. Ils ne font d’ailleurs que ça. Ils mentent pour séduire. Ils mentent pour se protéger l’un de l’autre et, surtout, d’eux-mêmes. Ils mentent par réflexe inné ou par lucidité. Quand on peut tout aussi bien mentir, à quoi bon dire la vérité?

Le gouvernement… Non, pardon. J’allais proférer un pléonasme.

On dit de certains qu’ils sont menteurs comme des arracheurs de dents. Et toi? As-tu jamais envisagé d’étudier la médecine dentaire? Non, le journalisme te va mieux. À la radio, à la télé, dans les journaux et les magazines, sur Internet, les journalistes — qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre mou — ne sont pas payés pour dire la vérité. Les médias mentent parce que c’est plus rentable.

Et toi? Et moi? Qu’avions-nous à nous dire en dehors des mensonges?

Les économistes nous mentent et nous en redemandons. Nous aimerions croire que nos vies puissent être réduites à ces questions d’offre et de demande, de fluctuations sur le marché boursier. Nous en rêvons. Nous voudrions tant que nos vies soient à la fois aussi simples et aussi complexes, à la fois aussi concrètes et vertigineusement intangibles que ces données virtuelles qui font trembler la Terre, de New York au Sud-est asiatique.

J’ai souvenir pourtant de ton sourire à mon arrivée d’un voyage outre-Atlantique. J’ai souvenir des côtelettes d’agneau aux lentilles du vendredi soir et des oeufs à la bénédictine du samedi matin. D’éclaboussures de sauce hollandaise sur une chemise en soie bleue. D’une clé égarée au Spectrum durant quelque baiser au son d’une trompette endiablée. De folies sur la banquette arrière d’un taxi. D’un hurricane de passion déchaîné dans une suite nuptiale. Du bain tourbillon trop matinal dans cet hôtel chic, boulevard de la tromperie. De l’expression sincère de ton visage, après que j’eus fait glisser une nuisette satinée sur ton corps nu.

J’ai souvenir de tout ça, de bien d’autres choses encore. Mais tout ça n’est peut-être qu’une illusion. Le souvenir est un fieffé bluffeur.

Et le bonheur? Ah, le bonheur, c’est ce chat qui voudrait bien passer pour Napoléon en dépit de ses airs de Robert Bourassa.

Les statistiques mentent. Les sondages mentent. Les prévisions de la météo et les vee-jays de Musique-Plus. Les épiciers, les éditeurs et les courtiers d’assurance mentent. Les vendeurs de chars usagés aussi. Les poètes et les romanciers mentent également, ce sont sans doute les pires menteurs, mais leur duperie est sans conséquence puisque personne ne les prend au sérieux. Robert Bourassa n’était pas plus menteur que ce chat nommé Napoléon qui ronronne et s’enroule autour de ma cheville en signe d’affection.

La mort nous ment… Pour le moins autant.

Je n’ai pas de chat. Je n’en ai jamais eu. Je ne suis même pas sûr de me souvenir de toi, de nous, de ce qui nous unissait et semblait si incontestablement vrai.

Tout le monde ment mais ça n’a plus aucune importance.

Et rien de ce que je viens de dire n’est vrai.