stanleypean.com


Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Jean Barbe et moi

À ce qu’on peut lire sur le forum de discussion du Passe-Mot, dans le cadre d’un débat autour de la légitimité du Prix littéraire des collégiens, il semblerait que ce que je représente et la manière dont je le fais hérisse les poils de Jean Barbe (le calembour est de lui) et que jamais il ne sera membre de l’UNEQ tant que je sévirai à la présidence. Big deal! J’ai pour ma part l’intuition que l’Union, qui existait bien longtemps avant mon arrivée à sa tête et continuera d’exister longtemps après mon départ, peut aussi très bien se passer du membership de Jean Barbe. Je pourrais me tromper. Je sais pertinemment que je ne suis pas infaillible…

Cela dit, Jean Barbe n’a pas tort d’affirmer qu’il existe entre lui et moi une incompatibilité de visions du monde et de manières d’être. À quand remonte la découverte de celle-ci? Attendez que je me souvienne… Nous nous sommes croisés pour la première fois sur le plateau de l’émission La bande des six, en janvier 1992; j’y avais été invité à la parution de mon premier roman, Le tumulte de mon sang, dont Barbe avait fait une critique sévère mais honnête à laquelle je devais réagir sur le vif, ce que je fis. Cette confrontation s’était déroulée sur un mode, ma foi, plutôt sympathique. Peu après, Barbe m’avait même proposé de me joindre à l’équipe de critiques littéraires du Voir dont il était alors rédacteur en chef. Cette collaboration n’avait cependant pas vu le jour mais, cinq ans plus tard, il m’avait engagé pour couvrir la littérature québécoise et les disques de jazz, soul et blues dans les pages de l’hebdo Ici, qu’il avait contribué à fonder et dont il avait assumé la direction pendant quelques mois.

C’est pendant ces quelques mois que j’ai appris à connaître un peu mieux le bonhomme, dont je n’ai toutefois jamais été un proche. À cette période très mouvementée de son histoire, le périodique cherchait encore son identité propre – et rapidement les responsables du journal chez Quebecor avaient convenu avec Barbe qu’il valait mieux pour lui de céder la direction à Nora Ben Saâdoune tout en conservant son poste de chroniqueur vedette. Quand une seconde crise était venue secouer le journal à l’automne 1998, avec pour résultat le congédiement sans cérémonie de Ben Saâdoune et la démission subséquente de l’ensemble de la rédaction, Barbe avait survécu à la tourmente… Lui qui avait pourtant applaudi et félicité les jeunes démissionnaires pour avoir, au péril de leur avenir dans le milieu journalistique, tenu tête à «une corporation sans âme» (l’expression est de lui), il était resté en poste –- avec pour prime une augmentation de ses honoraires somme toute négociée sur la tête du comité de rédaction sortant. Je tiens cette information du rédacteur en chef nouvellement promu, Jean-François Brassard, qui m’avait offert un bonus similaire si je consentais à demeurer chroniqueur au Ici.

— Les patrons sont prêts à te garder, ils aiment bien tes papiers, m’avait-il dit en substance. Et si c’est une question d’argent, on peut augmenter ton salaire comme on l’a fait pour Jean Barbe.

Par solidarité pour mes collègues contraints à la démission, j’avais décliné l’offre. Dès lors cependant, nos divergences de tempérament m’étaient apparues comme manifestes… Je les avais d’ailleurs évoquées dans une lettre ouverte sur la querelle entre Quebecor et la première équipe du Ici, publiée par L’Aut’Journal à l’hiver 1999.

Quelques années après, en plein Salon du livre de Jonquière, Jean Barbe m’avait accosté à mon stand et évoqué ce texte qu’il avait trouvé injuste à son égard.

— Je me sens toujours un peu mal à l’aise quand on se croise dans l’ascenseur à Radio-Canada et que tu me salues froidement, parce que je t’avais toujours considéré comme un allié objectif et que je n’ai jamais compris pourquoi tu avais tenu des propos si durs sur moi.

Devant témoins (en l’occurrence, l’équipe de la courte échelle), je lui avais répondu alors que j’estimais que lui et moi avions montré nos vraies couleurs lors de cette fameuse crise au Ici et que de là découlait la dureté de mes propos.

— Si tu me salues dans l’ascenseur, dans les couloirs, Jean, je répondrai toujours à ton salut parce que j’ai été élevé ainsi, avais-je conclu. Mais, sincèrement, je ne crois pas que nous ayons jamais été des alliés objectifs ou autres…

Il faut admirer la superbe du bonhomme, parce que le lendemain de cette rebuffade, alors que je prenais l’apéro au bar de l’hôtel du Holiday Inn avec mon vieux pote Allan Côté, il était venu nous demander de le rejoindre à sa table où il trinquait en compagnie de Louis Hamelin et Guillaume Vigneault, deux écrivains que j’apprécie énormément. Au risque d’estomaquer Allan qui n’y voyait pas d’objection, j’avais alors répondu à Barbe que je voyais bien que Louis et Guillaume étaient à sa table mais que, puisque lui aussi s’y trouvait, je préférais rester accoudé au bar.

Et donc, oui, il a raison de parler de divergences de visions du monde, de manières d’être. Cela dit, ces divergences ne m’ont pas empêché de me montrer courtois avec lui quand sa patronne chez Leméac, Lise Bergevin, m’avait engagé pour animer une causerie lors du lancement de la rentrée automnale de la maison en 2005. Elles ne m’ont jamais empêché répondre poliment à ses salutations dans les fruiteries de l’avenue du Parc – mais elles me sont toujours restées bien présentes à l’esprit quand nous avons eu à croiser le fer idéologique à la télé chez Marie-France Bazzo ou à la radio chez Emmanuel Kherad ou Raymond Cloutier.

Alors vous imaginez qu’il me fait bien rigoler quand il me traite d’«illustre fonfon à la botte de l’establishment» — lui à qui Quebecor faisait appel il n’y a pas si longtemps à titre de «consultant externe» en vue de la refonte de l’hebdo Ici, lui le directeur éditorial d’une des principales maisons littéraires québécoises, lui qui chez Bazzo pontifie toutes les semaines à propos des livres publiés par ses concurrents en signalant au détour, et avec une inélégance consommée, les manuscrits refusés chez Leméac. Ouais, un sacré rebelle, ce Jean Barbe – tellement pur, tellement irréprochable, tellement étranger à l’establishment, lui dont on ne compte plus les accointances dans le milieu médiatique! Et il a le culot d’affirmer, le plus sérieusement du monde, qu’en ma qualité de président de l’UNEQ je serais contraint au devoir de réserve, que je devrais m’abstenir d’être juge et parti en matière de littérature québécoise, que je ne devrais surtout pas siéger sur ces innombrables jurys où j’exerce supposément mon pouvoir de manière abusive et mesquine pour infléchir le destin de nos lettres – moi qui, depuis ma première élection à la présidence de l’Union en 2004, n’ai guère siégé que sur le jury du prix Alibis de la nouvelle policière… et sur celui de présélection du Prix littéraire des collégiens!

Je pourrais aisément multiplier les anecdotes édifiantes sur l’intégrité de ce preux chevalier mais je me bornerai à dire que vraiment, celui-là, s’il n’existait pas, il faudrait qu’Alfred Jarry et Eugène Ionesco reviennent sur Terre et unissent leurs efforts pour l’inventer!

November 19th, 2008
Catégorie: Commentaires, Réflexions Catégorie: Aucune

11 commentaires à propos de “Jean Barbe et moi”

  1. anonyme sansregret a écrit:

    Quelle mesquinerie et quelle bassesse exprimée ici. Peu importe ce qu’a pu faire Jean Barbe dans le passé, on voit clairement ici que Stanley Péan est le véritable trouduc. J’ajouterais même qu’à lire cette note puante, Jean Barbe pourrait probablement trouver matière à poursuite.

    J’appuie Jean Barbe: Écrivains, boycottez l’UNEQ tant que cet immonde personnage de Péan ne soit disparu de sa présidence!!!

  2. Faune a écrit:

    Convoquer Jarry et Ionesco pour lui tailler un costard, à Jean Barbe, c’est déjà prendre/donner la mesure de l’homme… Ce qui me fait dire que votre billet ne contient pas que de l’acide. Suis au courant de rien du milieu littéraire sauf à en avoir entendu dire que c’était un panier de crabes (et mémé Prudence de se pointer sous mon nez, du coup), mais le bassin francophone du Québec étant forcément plus réduit qu’en France, nulle surprise à découvrir qu’on veuille se tailler une bonne part du gâteau, surtout quand ceux qui vivent de littérature et d’eau fraîche ne sont pas légions !

    Deux points, donc :

    1. Ça n’est pas ma place de trancher quant à l’histoire ancienne Québécor/Ici-etc., et il est vrai que tel que vous la relatez, ça ne brosse pas un tableau reluisant du côté de Jean Barbe, aussi n’aurais-je qu’une question – libre à vous de répondre ou non : vous ne me devez rien -, mais je constate que votre désaccord découle de propos à vous rapportés voulant que Barbe aurait accepté la reprise d’un poste pour des motifs pécuniaires plus avantageux, mais ni vous ni lui n’aura approché l’autre pour tirer la chose au clair à l’époque ? Qui sait si les points de vue n’en auraient pas résulté différemment ? Vous connaissez l’histoire du téléphone arabe… Remonter à la source pour confronter les faits et les interprétations au moment où ils prennent lieu est trop souvent négligé et éviterait tellement de malentendus (quand il en est). Autrement, c’est vrai qu’il est impossible de réconcilier l’irréconciliable.

    2. L’exemple de Pierre Falardeau entendu à TLMEP (l’an dernier, je crois ?) m’avait beaucoup frappée, de ce qu’il avait accepté un prix canadien, lui ardent défenseur de l’indépendance du Québec, au motif qu’il avait besoin d’argent pour faire vivre sa famille. Assumer pleinement ses convictions est peut-être, ou parfois, plus facile à faire quand on est seul à en subir les conséquences, mais quand il en est d’autres qui partagent notre vie… Barbe avait-il sa famille déjà, à l’époque ? J’en sais fichtrement rien. Et puis l’argent du prix remis à Falardeau, y avait bien un peu de nos taxes là-dedans.

    Je n’en suis pas à dire que tout se vaut ; votre intégrité n’est qu’admirable, et je la salue, mais ne saurais trancher quant à Jean Barbe. C’est sûr que ça ne lui arrange pas le portrait, vu comme ça. Bon et puis une 3e question, au final :

    Et ce Prix des Collégiens, vous ne pensez pas que son processus pourrait être amélioré ? J’ai émis quelques idées sur le blog du Passe-Mot, à ce sujet.

    J’espère n’avoir pas été trop… raseuse, à moins que vous ne comptiez parmi les mecs qui apprécient les lames qui le font du plus près…?

    😉

    Judith

  3. Stanley Péan a écrit:

    @ Anonyme sansregret: le trouduc mesquin que je suis tremble dans son froc en attentant la poursuite.

    @ Faune alias Judith: oublions Barbe pour un moment. En ce qui concerne le Prix des collégiens, je le répète, les membres du c.a. suivent le débat sur le blogue du Passe-Mot. Il n’y aura certes pas de modification au processus déjà enclenché. Mais les critiques et commentaires exprimés sur cette tribune auront assurément des répercussions.

  4. Judth a écrit:

    Ah flûte de flûte… On sait bien, les Montréalais amateurs de jazz, ça sort tard en boîte, le soir ! 😉 Moi qui viens tout juste de publier mon commentaire sur mon blog en pensant que vous ne le publieriez pas, étant donné que ça faisait une dizaine d’heures que je l’avais posté. Je vais ajouter un nota bene pour aviser.

    Aussi je comprends fort bien que des changements ne peuvent s’opérer quand les choses suivent déjà leur cours.

    Quant à Barbe et vous, disons que je prends bonne note de tout et que de la sorte s’esquissent quelques traits nouveaux à vos endroits, bien que dans un certain flou, certes, sauf à spécifier que je ne vois pas de raison de choisir un camp, pour ma part (et ce n’est pas non plus ce que vous cherchiez à obtenir de vos lecteurs, je pense, tant que de réagir à ses dires à lui). J’ai de l’estime pour vous deux, pour des raisons propres à chacun, et j’en profite pour vous dire que j’ai pris plaisir à vous écouter occasionnellement sur Espace Musique , en avant-midi. Vous faites partie des trois seuls animateurs d’émissions musicales que je peux écouter en continu sans me trouver éventuellement agacée (j’ai l’oreille hypersensible…) soit par leur programme musical, soit par leur voix et la forme qu’elle donne à leur “présence”. Pardon de ne pouvoir encore rien dire au sujet de vos livres, mais j’ai beaucoup de rattrapage à faire du côté de la littérature québécoise…

    Merci de votre réponse, donc.

  5. android a écrit:

    Jean Barbe m’est aussi profondément antipathique en raison de ses certitudes sur la plupart des sujets. Il aime beaucoup prendre le plancher lors des émissions auxquelles il participe et imposer ses opinions. Je déteste profondément ce genre de comportements.

  6. cynthiatre a écrit:

    Le billet de Mr Péan sur Jean Barbe est très sévère et agressif, je suis étonnée. À l’entendre les matins sur Espace Musique, chaleureux et drôle, je n’aurais pas pensé qu’il puisse se montrer aussi hostile à l’égard d’un «confrère» mais il faut admettre que c’est l’autre qui l’a cherché en lui cherchant noise dans l’autre blogue. Au moins, nous voilà fixés sur ce que Mr Péan reproche à Jean Barbe et on comprend mieux…

    CT

  7. christophe rodriguez a écrit:

    Ahhh , le Stan mordant est de retour. Yeees ! Aussi corsé que quatre mesures de Freddie Hubbard (Red Clay ou Open Sesame). CR

  8. cynthiatre a écrit:

    Je ne sais pas si vous l’avez lu, Mr Péan, mais Christian Mistral répond sur son blog à votre billet sur Jean Barbe et ne vous dépeint pas sous un jour bien sympathique.

    CT

  9. Stanley Péan a écrit:

    Oui, j’ai lu moi aussi l’édifiante nouvelle sortie de Christian Mistral à mon sujet, tout à fait représentative de la haine qu’il me voue et des mensonges et déformations de la réalité qu’elle lui inspire depuis des lunes. No big deal, really. Ainsi, non seulement je n’aurais pas l’ombre d’un principe, mais rien de ce que je raconte et qui peut être corroboré par n’importe quel ex-membre de la rédaction du journal Ici n’est véridique, mais il y aurait entre Jean Barbe et moi une histoire de rivalité pour les faveurs d’une femme qui remonterait à Québec il y a vingt ans. Et Mistral en était témoin! Voyons voir: il y a vingt ans, ça nous met à peu près en 1988… Ni Barbe ni moi n’avions encore publié nos premiers romans respectifs, notre première rencontre (sur le plateau de la Bande des Six, au Lux, le premier week-end de janvier 1992) n’avait même pas encore eu lieu… Mais nous nous chamayions déjà pour une fille, qui aurait préféré le beau Jean à moi? Et ça se passait à Québec, en plus! Yeah, right! On nage en plein Philip K. Dick!

  10. Cornudet a écrit:

    L’histoire d’Anonyme Sanregret débute en 1980 avec le poème Achetez poésie à jeter et se termine en 1997 au cimetière du Montparnasse à Paris avec l’oeuvre Pour toujours. Le commentaire signé Anonyme Sanregret que vous avez reçu en 2008 au sujet de Jean Barbe est de la main d’un escroc.

  11. Jacques Côté a écrit:

    Tout à fait d’accord avec toi Péan. Barbe est un illustre prétentieux, rongé par les frustrations et qui n’a pas le talent de ses ambitions. En plus c’est un chialeur professionnel, mais sans style à part bien sûr sa coupe de cheveux qui aurait fait de lui le cinquième membre des Classels.

≡ Soumettez votre commentaire