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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

FIL: La bibliothèque, comme refuge loin de la barbarie

Il y aurait tant à dire sur Extinction, texte incendiaire de Thomas Bernhard magistralement dont Serge Merlin propose une lecture des plus incarnées au Théâtre Prospero jusqu’à demain soir. Hier soir, malgré la pluie diluvienne qui s’abattait sur Montréal, mon amie Annie et moi sommes ressortis de ce spectacle présenté en guise de postface à la 17e édition du Festival international de la littérature (FIL) littéralement et littérairement allumés!

Hanté par la mort de son oncle, de ses parents, puis de son frère, le narrateur-écrivain (à qui le merveilleux interprète de l’homme de verre dans Amélie Poulin prête voix et corps) expose sa haine viscérale de son clan. Installé à Rome où il enseigne, Franz-Josef Murau n’a pas réussi à échapper à Wolfsegg, son patelin autrichien et à son enfance, marquée par l’occupation nazie et par les compromissions des adultes qui l’ont vu grandir, une belle bande de bourgeois arrivistes et affairistes, forcément collabos pro-nazis (à l’exception de cet oncle esthète et amateur d’art à qui il voue une admiration manifeste). Et dans un monologue intense qui défile en une heure vingt minutes, le narrateur-écrivain se propose d’anéantir les siens et la propriété familiale, même si « en même temps, je me décompose moi-même, je me désagrège, je m’anéantis, je m’éteins ».

Ce réquisitoire contre ces affairistes autrichiens qui ont contribué à l’entreprise européenne la plus barbare du dernier siècle s’appliquerait avec tout autant de justesse aux sympathisants duvaliéristes comme à tout autre complice d’un pouvoir oppressif et obscurantiste. Et à entendre Murau pester contre les membres de ce clan étouffant, des incultes uniquement préoccupés par les affaires, le bétail, la cote des actions en bourse, hostiles à toute forme de création (malgré la présence de cinq bibliothèques garnies dans le château familial, des décors d’apparat), je me suis dit qu’il aurait fallu inviter à ce spectacle tout le cabinet du ministre du Patrimoine canadien James Moore, voire tout le conseil des ministres du gouvernement Harper (oui, désormais, par souci de cohérence, j’emploierai moi aussi cette désignation imposée aux fonctionnaires fédéraux par le Premier Ministre lui-même en remplacement de l’expression gouvernement canadien). À en juger de l’hostilité et du mépris qu’ils continuent de manifester à l’égard des arts et des créateurs — et dont témoigne éloquemment leur projet de réforme de la loi canadienne sur le droit d’auteur –, il aurait été intéressant que ces honorables messieurs entendent ces propos sur la haine des arts et des lettres, ne serait-ce que pour les rassurer dans leur propre méfiance à l’égard des nourritures de l’esprit.

Tenez-vous-le pour dit: on ne sort pas indemne de cette présentation, créée à Paris d’abord sur les ondes de France Culture en 2009 puis sur les planches du théâtre de la Madeleine l’an dernier par cet homme que la presse française décrit comme le plus grand interprète de Bernhard. À ce sujet, je vous conseille la lecture de cet entretien avec Merlin que signait Jean-Pierre Thibaudat sur le site Rue89.com en mars 2010.

Oui, il aurait tant à dire sur Extinction… mais je me bornerai à remercier Michelle Corbeil, l’équipe du FIL et ses partenaires du Groupe de la Veillée et du Théâtre de la Madeleine de nous offrir ce grand moment théâtral et littéraire, à lever mon chapeau à Serge Merlin et à vous recommander vivement d’aller assister à ce spectacle tandis qu’il est encore à l’affiche à Montréal (ce soir et demain soir). De mon côté, je vais m’empresser de mettre la main sur ce texte essentiel de Bernhard (disponible dans la collection L’Imaginaire de Gallimard), qui de toute évidence fait cruellement défaut à ma bibliothèque.

September 30th, 2011
Catégorie: Commentaires, Événements, Lectures Catégorie: Aucune

Un commentaire à propos de “FIL: La bibliothèque, comme refuge loin de la barbarie”

  1. Kim Francoeur a écrit:

    J’aurais pu parier! Merci de partager avec nous vos coups de coeur et impressions et de toujours continuer à oeuvrer sans compromis pour la promotion de la littérature! 🙂

    Transmis via Facebook.

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