Édouard Glissant [1928-2011]: poète du Tout-Monde
Je ne l’ai rencontré qu’une seule fois, je veux dire en personne. Avant cela, je l’avais connu à travers ses livres, d’abord La Lézarde (Prix Renaudot 1958), une lecture recommandée par mon professeur Fernando Lambert dans son cours de littérature noire de l’Afrique et des Antilles. Tiens, j’ai encore mon vieil exemplaire de son premier roman en format de poche, auxcoins de pages restés cornés, que j’ai su retrouver dans le fouillis de ma bibliothèque hier soir.
La jeune fille avait du courage: elle marcha toute la nuit parmi les ombres affolantes, sans entendre les chiens (ou les engagés qui empruntent la forme des chiens, courent la campagne, volent, effrayent, s’amusent d’autrui), sans entendre le bruit multiplié de sa propre marche dans la splendeur noire, sans rien entendre qu’en son cœur un silence encore étonné, un silence qui avait pris corps et qui était maintenant l’âme sans âme de sa chair. C’était une fixité étrange dans la nuit.
J’ai donc croisé Édouard Glissant une fois, une seule, à l’hiver 1989, à l’occasion d’un colloque universitaire à Toronto, où je commentais une communication sur des romans de Richard Wright (Native Boy) et Ralph Ellison (Invisible Man) et présentais un texte sur la représentation du vodou dans des oeuvres de fiction étasuniennes et haîtiennes. Glissant avait grandement impressionné le doctorant et écrivain novice que j’étais à l’époque, avec sa voix grave de poète et de sage, sa prestance de grand prince des lettres. Dans un resto éthiopien du centre-ville torontois, ses échanges enjoués avec les plus brillants de nos professeurs, dont mon mentor Maximilien Larouche, témoignaient de la finesse de son esprit, de son humour et de son érudition.
J’avais eu l’audace de lui offrir un exemplaire de mon tout premier livre, La plage des songes. Intrigué par mon parcours de jeune Haïtien élevé à Jonquière, il en avait feuilleté vitement la nouvelle éponyme dont il avait ensuite le propos en arquant un sourcil: «Tiens, la recherche du père…» La formule m’avait semblé très insolite dans la bouche de Glissant. dont la physionomie et l’allure générale me rappelaient vaguement, très vaguement Mèt Mo, fauché par le cancer moins d’un an avant cette rencontre.
Nous ne sommes jamais revus, mais comme tout intellectuel intéressé par les questions de mondialisation, de métissage des cultures, de relations entre les imaginaires, j’ai continué à le lire à l’occasion: ses essais (Poétique de la relation, Traité du Tout-Monde, Mémoires des esclavages), sa poésie (Fastes), et ses romans (Tout-Monde, Sartorius: le roman des Batoutos). Que pourrais-je ajouter au choeur d’éloges qui salue la disparition de ce géant des lettres francophones? Rien. Sinon, honneur, respect.
httpv://www.youtube.com/watch?v=DsUOlBD5JS0
February 4th, 2011Catégorie: Commentaires, Réflexions, Vidéos Catégorie: Aucune
February 5th, 2011 at 09:39
Bonjour,
J’ai signalé votre article sur le blog :
http://lire56.over-blog.com
Page : premier roman
Cordialement
February 6th, 2011 at 11:05
Merci bien, c’est apprécié.
S.P.