Quand règne l’arbitraire, quand plane le spectre de Franz Kafka
Bon, maintenant que l’affaire a été commentée sur de nombreuses tribunes, je me sens légitimement autorisé à faire le point ici. J’estime avoir gardé le silence suffisamment longtemps sur cette coupure drastique et sans préavis du financement du Festival international de la littérature (dont je préside le conseil d’administration, ayant pris la succession de feu mon ami Bruno Roy), courtoisie de Patrimoine canadien. Le 26 juillet dernier, la nouvelle est tombée comme un couperet: à six semaines de l’ouverture de la manifestation annuelle, le FIL apprenait que sa subvention de 65 000$ du Fonds du Canada pour la présentation des arts (FPAC), dont il bénéficiait depuis 2002, n’était pas renouvelée, sans que le fonctionnaire responsable du dossier puisse nous fournir des explications dignes du nom.
Cette semaine-là, le ministre du Patrimoine canadien James Moore passait par Montréal pour tenir une conférence de presse au cours de laquelle il annonçait en grande pompe aux représentants du milieu culturel réunis pour l’entendre les nouvelles initiatives de soutien à la culture canadienne de son gouvernement. Ce vendredi matin-là, la directrice générale et artistique du FIL, Michelle Corbeil, et moi avions choisi de faire preuve d’élégance, en n’alertant pas dès lors les médias de cette décision sans appel et en apparence arbitraire, histoire de ne pas porter ombrage aux annonces de M. Moore. Prenant acte de notre bonne foi, son attaché de presse, Sébastien Gariépy, nous avait d’ailleurs promis un rendez-vous entre le cabinet et la direction du FIL pour discuter de la situation grave dans laquelle se trouve le festival. Malgré les appels et courriels répétés de la direction du FIL, et pour des raisons aussi obscures que les motifs de la coupure, cette promesse n’a pas été tenue… À ce jour, personne au cabinet n’a daigné rappeler au bureau du festival.
Depuis que le FIL a émis son communiqué relatant les faits, depuis que des articles sur ce sujet ont paru dans Le Devoir, La Presse, Le Journal de Montréal, Voir et sur divers sites d’information (Radio-Canada.ca, etc.), Patrimoine canadien a rompu le silence radio et offert une explication bien sommaire pour justifier sa décision arbitraire et sans appel. C’est l’attaché de presse du ministre, Sébastien Gariépy, qu’on a chargé d’entonner dans les médias le pot-pourri prévisible de lieux communs, visant à rappeler que le Ministère «reçoit plus de 10 000 demandes de financement pour des évènements locaux et des festivals partout au Canada, [un nombre de demandes qui] dépasse largement les fonds disponibles et le Ministère doit faire des choix.»
Je veux bien. L’ennui, c’est que le soutien aux événements culturels n’est pas à ma connaissance une loterie. La première question qui se pose, c’est comment comprendre qu’un organisme qui satisfait aux exigences d’un programme depuis dix ans, et dont l’ensemble des autres subventionnaires applaudit la saine gestion de son budget, se voit soudain totalement et irrévocablement exclus de ce programme dont les critères n’ont pas été modifié? Piètres excuses, à mon sens, que ces vieilles rengaines sur le grand nombre de demandes, l’insuffisance des fonds, la nécessité de faire des choix. Mais la question la plus cruciale demeure: Patrimoine canadien aurait-il quelque chose de précis à reprocher au Festival international de littérature qui puisse justifier un traitement aussi cavalier?
Dans sa réponse aux médias, M. Gariépy a aussi rappelé, à juste titre, que le FIL continuait de recevoir environ 30 000$ de Patrimoine canadien par l’entremise du Fonds du livre du Canada. C’est une façon de voir les choses. Cela ne change rien au fait qu’en ne renouvelant pas l’autre subvention le ministère a amputé des deux tiers son financement. Cela ne change rien au fait que la subvention supprimée représente 13% du budget annuel du festival. Cela ne change rien à l’inélégance de procéder à une pareille coupure à moins de deux mois de la tenue de l’événement, alors que la demande du FIL avait été déposée en octobre 2010. Cela nous laisse surtout penser que cette politique de soutien à la culture pourrait s’apparenter à un jeu de hasard, où il y a tant d’appelés et si peu d’élus que même les organismes dont l’excellence est pourtant reconnue n’auraient aucune garantie de recevoir ce que cette excellence leur avait mérité par le passé.
En dépit de cette crise artificiellement provoquée, il va sans dire que la 17e édition du Festival international de la littérature se tiendra comme prévu dans les lieux usuels, du 16 au 25 septembre prochain. Mais, allez savoir pourquoi, ces temps derniers, j’ai beaucoup songé à l’infortuné Joseph K, interpellé à son réveil par des policiers entrés un matin chez lui pour lui annoncer péremptoirement qu’il est aux arrêts et qu’il devra subir les rigueurs arbitraires d’un bureaucratrie qui ne peut ou ne veut pas lui révéler la nature exacte de sa faute. En tant que diplômé en lettres de l’université Laval, M. Gariépy, j’en suis sûr, a sans doute eu l’occasion d’arpenter les labyrinthiques fictions de Franz Kafka…
September 8th, 2011Catégorie: Commentaires, Événements, Réflexions Catégorie: Aucune
September 8th, 2011 at 14:06
EN GUISE DE POST-SCRIPTUM
Ce matin, le chroniqueur Marc Cassivi a émis une hypothèse sur les raisons obscures de la coupure drastique et irrévocable du financement du Festival international de la littérature (FIL) par Patrimoine canadien. On se pince en se demandant si on n’est pas entré dans un cauchemar…
September 8th, 2011 at 14:10
En effet, on peut s’interroger: est-ce une coïncidence?
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September 8th, 2011 at 14:17
Le cauchemar a commencé le 2 mai 2011.
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September 8th, 2011 at 14:20
Culture de l’intimidation: y’a rien de nouveau là pour moi … et pour Hélène Desputeaux !
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September 8th, 2011 at 14:24
Et ca continue la dégringolade de la culture au nom des économies de bouts de chandelles…
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September 8th, 2011 at 16:11
Plus rien de m’éto-o-o-o-onne / Plus rien ne m’étonne… (Tiken Ja Fakoly)
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September 8th, 2011 at 17:53
Rien de neuf sous le soleil fédéral… culturel = zéro.
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September 8th, 2011 at 18:16
Mais on est dans un cauchemar. Et non, on n’y échappe pas, c’est comme ça un peu partout. *5minutesdepessimisme*
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September 8th, 2011 at 19:30
Demander de l’argent à un bailleur de fonds qui servira essentiellement à le ridiculiser… cela demande beaucoup d”abnégation de ce mécène, si gouvernemental soit-il… Il faut savoir choisir ses sources de financement en fonction des messages que l’on veut envoyer.
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September 8th, 2011 at 19:40
Euh… Le festival international de littérature ne sert pas essentiellement à ridiculiser le “gouvernement Harper”… L’écrivain Martel non plus…
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September 8th, 2011 at 19:41
Vous me permettrez d’être en désaccord avec vous, M. Dubois. Un mécène dépense son argent personnel comme bon lui semble, selon ses critères personnels. Un gouvernement démocratiquement élu doit gérer l’argent des contribuables, de tous les contribuables, l’investit dans des programmes qui font normalement fi de la politique et de la politicaillerie (selon le fameux concept d’«at arms lenght» cher aux Anglos). À moins que nous soyons revenus à la P’tite noirceur duplessiste. Le FIL doit être jugé selon ses performances et selon les attentes définies dans ses programmes de soutien. S’il faut voter du bon bord et ne jamais émettre un mot qui puisse déplaire au gouvernant, alors nous ne vivons plus en démocratie. Cela dit, le Ministre ne s’est toujours pas prononcé sur les motifs de cette coupure drastique et sans préavis. Qu’il le fasse honnêtement, qu’on sache une bonne fois pour toutes à qui on a affaire.
September 8th, 2011 at 19:42
Mais le gouvernement n’est pas un simple “bailleur de fond”, un mécène et le festival ne fait pas juste ça”ridiculiser” Harper. On parle de NOTRE gouvernement à nous tous!
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September 8th, 2011 at 19:59
Décidément, rien ne va plus avec ce gouvernement de la non culture… Merci Stanley d’avoir partagé le lien de l’article de Cassivi. Pour moi, le FIL, est un festival réussi à plusieurs points de vue… pour ne pas dire à tous les points de vue et cela mérite qu’il soit subventionné.
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September 8th, 2011 at 20:55
Les créateurs, ainsi que les promoteurs et les défenseurs de la culture et de la pensée qui pensent parvenir à infléchir la position antagonique du cow-boy va-t-en-guerre et de sa bande de ploucs incultes courent au-devant de bien des déceptions. Parce que le premier-ministre Harper a désormais toute la latitude nécessaire pour expérimenter pleinement ces plaisirs indiscutables de l’absolutisme politique que sont l’imposition de l’agenda, le contrôle du gouvernement et de l’appareil d’État, l’attachant népotisme et la vengeance, pour ne nommer que ceux-là. Or ce prosélyte de la monarchie qui n’aime guère la culture se sait méprisé par les gens de ce milieu qui jamais ne voteraient pour lui… Vengeance, vous dites ?
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September 9th, 2011 at 01:40
Quelle époque ! Le retour du balancier.
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September 9th, 2011 at 02:56
Les dictateurs ne fonctionnent pas autrement. L’instauration d’une République des copains entraîne nécessairement l’établissement d’une liste noire.
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September 9th, 2011 at 14:44
J’ai lu. C’est dur de voir que des muselières s’ajoutent à d’autres muselières…
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