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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Péan au Népal, Jour 4 — Ceux qui mangent le riz…

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Par temps clair, autant la salle à dîner du chic Dhulikel Lodge Resort que les chambres comme la mienne orientées vers les montagnes offrent une époustouflante sur l’Himalaya. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais bien les cartes postales et les dépliants publicitaires empilés sur le comptoir de la réception de l’établissement situé à trois kilomètres du village de Banthali et à tout juste un demi-kilomètre du fameux temple aux mille marches, que notre emploi du temps hyper-chargé ne nous permettra cependant pas de visiter. Cela dit, avec la brume diaphane qui s’appesantit sur l’horizon, il me faudra bien me contenter d’une ou deux Everest bien frappées, moi qui avais pourtant coupé drastiquement ma consommation de bière ces dernières années. De toute façon, après nos pérégrinations himalayennes des derniers jours, je ne suis quand même pas en manque de paysages montagneux, loin de là…

Après la visite de Maneshwora, nous sommes arrivés au petit complexe hôtelier en fin de journée, pour une petite escale avant de reprendre la route tôt le lendemain matin. Mon balcon, dont je n’aurais guère le loisir de profiter, donne sur un magnifique jardin ceinturé d’un boisé touffu. Je ne m’éterniserai guère à table après notre dîner ponctué de conversations enjouées, cédant plus volontiers à l’appel de mon lit. Grelottant malgré les deux édredons qui m’emmitouflent (j’ai pris celui du lit voisin, inoccupé), je dormirai en deux périodes, entrecoupées par une petite séance d’écriture et de lecture dans l’indigo de la nuit.

*

Une heure et quelques de route après le petit déjeuner relativement copieux que nous ne critiquerons pas, sinon pour s’amuser du fait que la préparation des rôties ait été confiée à un employé qui manifestement ne connaît ni ne maîtrise l’art immémorial du grillage du pain blanc tranché, nous voilà en compagnie de l’état-major d’un autre partenaire du CECI sur le terrain. Une brève réunion dans le quartier général de l’organisme en bordure de la route nous informe de la nature et de l’avancement des interventions conjointes auprès des communautés qui nous accueilleront tout à l’heure.

À Kharpachok, dans la région Bagmati au coeur du pays, nous assistons à une scène qui contredit le vieux proverbe chinois selon lequel «ceux qui mangent le riz ne connaissent pas la fatigue du boeuf qui a labouré le champ». En l’occurrence, je devrais féminiser. Au meeting un peu plus tôt, un entrepreneur dénommé Umesh Lama, à la fois président de la firme Organic World and Fair Future et du Nucleus for Empowerment through Skill Transfer (NEST) nous vantait les mérites des petits tracteurs à labourer dont il a pu équiper les paysannes de la communauté, qui doivent s’occuper des champs en l’absence de leurs maris pour la plupart partis travailler loin de la maison. Le spectacle a de quoi enthousiasmer et encore plus quand on sait que ces machines n’ont été mises à la disposition des fermières que deux semaines plus tôt. Qu’elles opèrent seules ou en duo, ces cultivatrices maîtrisent ces petits engins qui font songer à nos souffleuses à neige. Et Umesh Lama n’est pas peu fier de me faire remarquer que celles qui en ont appris le maniement ont déjà retransmis la formation à leurs consoeurs.

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Peu après, à l’ombre des arbres de la place publique tout près de l’école restée inutilisable et d’ailleurs inutilisée depuis le séisme, nous prêtons l’oreille aux récits des villageois, les uns plus tristes que les autres. Partout où nous passons, les représentants des diverses communautés égrènent le même chapelet d’anecdotes dramatiques sur la destruction de leurs habitations, de leurs étables, la perte d’êtres chers et de bétail et le désespoir qui toujours rôde, malgré cette sereine opiniâtreté dont ils font preuve. Il n’y a pas à douter, cependant: le traumatisme est encore très vif, d’autant plus qu’on a compté par centaines les répliques de plus ou moins grandes magnitudes au tremblement de terre du 25 avril 2015.

Après un frugal pique-nique autour d’un magnifique arbre séché aux allures de totem, notre équipe est accueillie à Mangaltar selon les règles de la coutumière hospitalité népalaise. Avec tous ces colliers de fleurs qu’on me passe au cou durant une journée, il est encore heureux que nous ne soyons pas à la saison du pollen, sinon gare à mes allergies. Jusqu’ici, nous avons visité des villages quasi entièrement détruits par le séisme. En ce lieu haut perché, le tremblement de terre a certes sévèrement endommagé les habitations et les abris du bétail, mais il n’a pas tout rasé, bien au contraire. Nous déambulons dans les ruelles étroites de ce bourg, entre des bâtiments prêts à s’écrouler à la moindre bourrasque à la manière d’un château de cartes. Étrange sensation que celle de circuler dans ce village-fantôme pourtant encore habité. La vie n’a manifestement pas encore dit son dernier mot, comme en témoignent le sourire des gamins ou des vieilles dames, les discussions animées entre adultes ou les tiraillements enjoués des ados.

Bientôt, de préférence avant la tombée de la nuit, il nous faudra reprendre la route de la capitale.

Demain, nous nous reposerons. Plus ou moins.

February 28th, 2016
Catégorie: Commentaires, Lectures, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

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