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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Le nomade aux pieds poudrés

«Il y a quelque chose d’insoutenable et d’admirable devant la prise de risque d’une écriture qui semble n’avoir peur de rien,» écrivait l’écrivain et journaliste haïtien Lyonel Trouillot dans les pages du quotidien port-au-princien Le Matin à propos de Bamboola Bamboche, roman de Jean-Claude Charles paru aux éditions Barrault en 1984 et récemment réédité dans la collection L’Intemporel des Presses nationales d’Haïti. Il n’avait pas tort, le Trouillot, dont l’écriture romanesque se conjugue également à l’impératif du risque constant, nécessaire, irrémédiable au moins autant que celle de son collègue Charles, qui s’est éteint à Paris hier, au terme d’un long combat avec la maladie.

Il se définissait volontiers comme un «nomade aux pieds poudrés», un «nègre errant» qui partageait sa vie entre New York et Paris, à l’image de Ferdinand, le héros de ses magnifiques romans à saveur autobiographique Manhattan Blues et Ferdinand, je suis à Paris (qu’il faudra bien rééditer aussi), livres superbes qui m’avaient coupé le souffle dans ma vingtaine, alors que je commençais tout juste à découvrir les écrivains haïtiens contemporains de l’extérieur, mes frères dans le déracinement. J’ai croisé Charles une fois, à Rochefort-sur-Mer, lors d’un festival littéraire qui portait sur la littérature des Antilles — et combien ironique l’idée de tenir pareil événement dans une ville dont la fortune tient à cette Corderie Royale qui servait notamment la marine marchande et, faut-il le rappeler, le commerce négrier.

Poète dans l’âme, grand buveur et grand fumeur devant l’Éternel, inépuisable palabreur, Jean-Claude Charles avait animé l’une de nos nuits blanches et bien arrosées de ses mille anecdotes. Qui d’autre était avec nous? Laferrière, peut-être? Trouillot? J’ai oublié. J’en ai un peu honte. Nous étions dans ma chambre d’hôtel, il me semble, et un album de jazz tournait sur mon discman branché sur de mini-enceintes acoustiques, probablement Village de Wallace Roney (que j’écoutais sans cesse à l’époque) ou un classique des années ’60. Charles et moi avions en commun l’amour de la note bleue, ainsi qu’en témoignent ses romans foisonnants comme de longs soli de Coltrane ou encore sa contribution au collectif de nouvelles Les treize morts d’Albert Ayler («Le retour de Maître Misère») paru dans la Série Noire dans les années ’90. En échange d’un exemplaire de Zombi Blues, il m’avait offert ce soir-là le numéro de la revue Sapriphage consacré à son incandescente poésie (Free 1977-1997).

Je ne l’ai jamais revu par la suite et, faut-il le déplorer, il n’a guère publié depuis. Mais je garderai de lui le souvenir d’un homme d’une grande sensibilité, un écorché de la vie, d’une intelligence admirable colorée par un humour pince-sans-rire. Et celui d’un styliste qui évoluait au coeur du volcan, en perpétuelle urgence. Repos à toi, Jean-Claude; avec respect, j’évoque ton nom sans te détourner de ton chemin de mort.

May 8th, 2008
Catégorie: Commentaires, Lectures, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

2 commentaires à propos de “Le nomade aux pieds poudrés”

  1. J.C. Dorcean a écrit:

    J.C.C. est parti comme vent qui s’en va a La Gonave, ce vent qui danse sur les flots de la baie de P-au-P, qu’on ne sait ou elle va finir.
    Bonne route Jean-Claude.

  2. Jean-Claude Charles « Haiticonnections a écrit:

    […] Stanley. « Le Nomade aux pieds poudrés » (9 mai 2008, carnets web de Stanley […]

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