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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Jour 11: À l’ombre des flèches de la cathédrale (retour sur Chartres)

Dans ma chambre d’hôtel toulousaine, c’est la lumière grisounette du matin gascon qui me réveille.  Comme il est très tôt, j’aurai le temps de m’autoriser le petit retour en arrière requis dans la récapitulation des détails quotidiens de ma tournée de promo avant le petit déjeuner puis le retour en TGV.

L’avant veille, j’avais longé le Père Lachaise sous un soleil écrasant pour retrouver Pierre Jourde qui arrivait tout juste chez lui avec une importante provision de pinard pour sa cave personnelle. Dans son intérieur assez chic, lui et moi avions causé littérature en attendant Brigitte et Aude, qui allaient nous accompagner à Chartres. En plus d’exercer avec vigueur le métier de critique, Jourde enseigne à Valence l’histoire littéraire… et la création — et il m’avait filé son essai au titre si séduisant, La littérature sans estomac (L’Esprit des Péninsules, 2002; Prix de la critique de l’Académie française), où il trucide avec la finesse des plus gracieux bretteurs quelques figures surfaites de la littérature française contemporaine. Quelques exemples choisis au hasard?

«Philippe Sollers est un peu notre Catule Mendès. Un écrivain de troisième qui aura eu son importance dans notre vie littéraire. Des érudits de la fin du XXIe siècle republieront certains de ses textes. On s’étonnera de la bassesse qui l’a entouré.»

«La littérature, [Frédéric Beigbeder] s’en empare, il la marque de son sceau. Il en fait son territoire avec les mêmes moyens que les félins délimitant le leur. Ou, plus exactement, comme l’enfant en bas âge, heureux et fier de sa déjection, qui éprouve le besoin de l’étaler partout.»

«Christian Bobin est à la littérature ce que sont les paires d’individus en bleu marine qui sonnent à votre porte en vous demandant si vous voulez connaître la vérité. On sait qu’on ne se laissera pas embobiner. On connaît par coeur leur discours, on n’espère pas les sortir de leur inflexible hébétude. La seule chose à faire, c’est d’essayer de les éconduire gentiment.»

Et ainsi de suite: Camille Laurens, Christine Angot et plusieurs autres, dont même Houellebecq en prennent littéralement plein la gueule. C’est savoureux, étayé, insolent, acerbe et plus que joliment tourné: un modèle de flamboyance et d’érudition, dont nous n’aurions au fond qu’un seul équivalent au Québec en la personne de Robert Lévesque (je meurs d’impatience de les présenter l’un à l’autre, quand Jourde viendra chez nous à l’automne).

Et du coup, si je ne m’étais pas amusé à lire à voix haute des extraits choisis dans la voiture de Jourde, en rigolant littéralement aux larmes, au lieu de jouer les copilotes dignes du nom, qui sait, nous n’aurions peut-être pas manqué la sortie de Chartres et pris un retard tel sur notre programme que nous n’avions même plus le temps pour voir les vitraux de la cathédrale avant de courir à L’Esperluète, la charmante librairie d’Olivier Lhostis, pour y rencontrer la vingtaine de clients curieux de découvrir (quand ce n’était pas déjà fait) le catalogue des Allusifs. Notre virée chartraine s’est terminée sur la terrasse d’une brasserie, à l’ombre des flèches de la cathédrale, à continuer nos échanges goguenards autour des lettres, du cinéma, de la musique, puisque l’esprit reste le seul rempart contre les ténèbres qui menacent de noyer l’horizon.

May 12th, 2011
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