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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

En hommage à Gaétan Soucy

Je l’avoue: jeudi dernier, j’ai fait la radio-buissonnière. Mais c’était pour une bonne cause. À la demande de mon amie l’éditrice Brigitte Bouchard (autrefois des Allusifs), j’ai enregistré mon émission quotidienne pour pouvoir officier à la librairie Gallimard en tant que maître de cérémonie de l’hommage à feu Gaétan Soucy, dont Brigitte vient de faire paraître un livre posthume, N’oublie pas, s’il te plaît, que je t’aime, dans la collection Notablia qu’elle dirige aux éditions Noir sur Blanc. Essentiellement, mon rôle consistait à passer la parole aux différents intervenants, Mme Vera Michalski, la patronne du groupe d’édition Libella duquel relève Noir sur Blanc, Brigitte elle-même, Sheila Fischmann, amie et traductrice attitrée du défunt, puis Sayaka, la fille du défunt.

On m’avait aussi prié de lire le témoignage fascinant du premier éditeur de Soucy, Rolf Puls, ancienne éminence grise de Gallimard à Montréal, désormais à la retraite qui hélas ne pouvait se joindre à nous. À celui-là, j’ai ajouté mon propre témoignage sur mon rapport avec Soucy et son oeuvre. Voici d’ailleurs le texte que j’avais écrit pour la circonstance:

Gaétan Soucy n’étions pas des amis intimes, je serai le premier à le reconnaître. Mais il y avait entre lui et moi une relation de convivialité et de respect, qui a débuté sur un plan purement professionnel par une entrevue dans le cadre d’un magazine littéraire télévisé et qui a pris une coloration plus amicale au fil des rencontres dans des cocktails, dans des salons du livre ici et à l’étranger. Cette relation se colorait aussi, en ce qui me concerne, d’une grande admiration pour l’écrivain unique qu’il était, que j’avais découvert bien avant La petite fille qui aimait trop les allumettes, que j’avais découvert avec L’immaculée conception et L’Acquittement.

On le croyait distant, hautain, cynique et farouche. Je n’ai pour ma part jamais senti que ces épithètes s’appliquaient à Gaétan. Au contraire, outre son intelligence remarquable, j’ai toujours plutôt décelé chez lui une lucidité et une sensibilité exacerbée, d’ailleurs à l’œuvre dans ce texte inédit qui nous est offert à titre posthume; un esprit ludique, un humour dévastateur aussi que tous ne percevaient ni même ne soupçonnaient pas forcément. Et si parfois il pouvait en intimider certains avec cette supposée distance, avec cette gravité de son regard et de son propos, je crois qu’il faut y voir les stratégies d’auto-protection d’un être un brin timide tout de même, un brin angoissé aussi, qui ne permettait pas à n’importe qui d’entrer dans son cercle.

Mais je ne voudrais pas épiloguer indûment sur l’homme qui nous a quittés l’an dernier, prématurément c’est vrai, qui nous a tout de même laissé une œuvre qui manifestement va rester, dont quatre excellents romans parmi lesquels cette fameuse Petite Fille… qui lui a valu une renommée mondiale. Au lendemain de son décès, je me suis permis d’utiliser l’expression américaine « a writer’s writer » pour qualifier Gaétan Soucy, histoire de rappeler que malgré l’immense succès populaire de La Petite Fille…, la démarche de Soucy se caractérisait par la rigueur de son écriture, que jamais chez lui n’avait-on décelé la moindre tentation du racolage, la moindre envie de séduire son lecteur. Et je crois bien que c’est ce que d’autres collègues et moi admirions le plus chez lui.

Je me permets d’insister sur la rigueur de cette écriture volontiers flamboyante, qui a su imposer son œuvre de tout premier ordre. Au-delà de l’intelligence qui s’exprime dans chaque page, dans chaque paragraphe de son œuvre, c’est le style de Soucy qui reste sa marque distinctive. On peut bien sûr lui chercher des liens de parenté littéraire, et rappeler qu’il avait bien sûr fréquenté Camus, Poe, Kafka, Sweig, Ducharme, et évoquer aussi les philosophes qu’il a enseignés et qui avaient nourri sa pensée, Spinoza, Descartes, et tous les autres. Il n’en demeure pas moins un grand écrivain à la griffe éminemment personnelle, ainsi qu’il en est toujours des plus grands de la littérature d’ici ou d’ailleurs.

J’ai promis de ne pas épiloguer indûment, de ne pas prolonger inutilement mon petit mot en hommage à un grand disparu. Je terminerai tout simplement en adressant à Gaétan Soucy et à vous cette paraphrase du titre du livre qui nous réunit aujourd’hui: n’oublie pas, s’il te plaît, que je t’admire encore…

Enfin, ces cocktails littéraires dont j’ai perdu l’habitude, en raison de mon office quotidien à l’antenne d’Espace musique, ont de réjouissant qu’ils me permettent toujours de renouer avec des amis et connaissances dont je croise décidément plus assez souvent la route: outre l’inestimable Robert Lévesque (qui comme de coutume s’enquérait de mes déboires sentimentaux), j’ai pu jaser brièvement avec l’attachante Josée Lareau (de Gallimard), Florence Noyer (éditrice de L’Héliotrope et actuelle patronne de Diffusion Gallimard au Québec), André Marois, Perrine Leblanc, et quelques autres figures du milieu littéraire montréalais que j’apprécie.

Ça fait toujours du bien, non…

May 19th, 2014
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