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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

L’impossible adieu

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(Sur la photo ci-haut: ma ma mère Lady I, ma soeur Mie-Jo, mon père et moi à l’arrière-plan dans une galerie montréalaise à l’occasion d’un vernissage de maman, au printemps 1985)

Je m’étais dit qu’il vaudrait peut-être mieux passer mon tour; ayant si souvent écrit sur le sujet ces dernières années, je ne voyais pas bien ce que je pourrais ajouter. Et le petit virus vraisemblablement ramené par Philippe de l’école qui avait successivement incommodé Laura, Patsy et moi s’était aussi avéré le prétexte idéal pour faire de la fuite, passer “Go!” sans réclamer les proverbiaux deux cents dollars et, surtout, taire ce malaise qui me hantait depuis le début de l’automne…

C’était espérer en vain que le funeste anniversaire n’impose pas son poids, désormais alourdi par un quart de siècle: car au-moment où mon frère aîné Gérald voit sa convalescence se prolonger à l’hosto en raison de complications imprévues liées à l’intervention subie il y a quelques semaines (mauvaise année chez les Péan, décidément!), il m’est impossible de ne pas songer au matin fatidique du 12 novembre 1987 où notre père Mèt Mo poussait son dernier souffle dans une chambre de l’hôpital de Jonquière, en présence de notre mère Lady I et de moi.

Étrange que moi, pourtant si peu enclin à l’étalage public de mes sentiments revienne si volontiers et de manière quasi morbide sur ces deuils de plus en plus nombreux qui jalonnent mon parcours en ce triste monde, sur ces impossibles adieux dont je porte trop souvent l’odieux et je meurs (pour paraphraser le refrain d’une chanson de l’Amiral et moi). Depuis le long billet que m’avait inspiré l’an dernier la mort de Gil, j’avais préféré ne pas trop m’appesantir ici sur ces départs qui m’ont blessé plus ou miins intimement, selon ma proximité intellectuelle ou émotive avec les disparus. Je n’ai rien écrit de substanciel sur les décès de Chantal Jolis et d’Aude, pour qui j’éprouvais amitié et admiration profondes. Ni la paresse ni l’inertie ne suffiraient à expliquer que j’aie pu passer sous silence l’été dernier la mort de Ray Bradbury, que je compte au nombre de mes mentors…

La lassitude, sans doute, celle de voir dans la glace mes rides et mes cheveux gris proliférer au rythme de tous ces chagrins qui m’assaillent, voilà peut-être la source de mes réticences à regarder à nouveau la mort droit dans les yeux. Le souvenir très présent, voire insistant, de Mèt Mo ne semble cependant pas près de me laisser le loisir de la fuite…

Il faut dire qu’il se manifeste partout, le vieux râleur, aux moments les plus inattendus, encore que sans pathos la plupart du temps. Outre l’évocation de ses frasques de “bête noire” de la Polyvalente de Jonquière qui ponctue à l’occasion mes conversations avec mes proches et moins proches, comment ne pas songer à lui et à nos dimanches d’antan devant Apostrophes, lorsque j’entends Bernard Pivot, pour une rare fois dans le rôle de l’interviewé, parler de son récent roman autobiographique?

Et que dire de cette impatience et de ces colères (parfois disproportionnées, je dois faire fi de ma honte à l’admettre) que m’inspirent les comportements de mes kids et qui ne sont sans doute que les échos de certains réflexes de mon défunt père, cet avatar créole des grincheux qu’aimait incarner Louis de Funès?

Vraiment, il est partout, le Mèt. Jusque dans mon miroir, les matins où je passe au rasoir ce visage dont les années ont accentué la ressemblance au sien.

Aussi, le temps ne serait-il pas venu pour moi de mettre un terme à la procastination et aux stratégies d’évitement pour enfin terminer cette nouvelle portant sur lui et moi que j’ai promise?

November 18th, 2012
Catégorie: Événements, Lectures, Réflexions Catégorie: Aucune

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