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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Le mot du «parrain d’honneur» de la 26e édition de PanAfrica International

C’est avec une certaine humilité que j’ai accepté d’être l’un des parrains de cette édition du Festival PanAfrica International organisée par Vues d’Afrique, festival que j’ai fréquenté sporadiquement au fil du dernier quart de siècle comme spectateur enthousiaste. Il faut dire que mon propre parcours d’écrivain a épousé au fil de ce même quart de siècle une courbe parallèle à celle du Festival; en dinant l’autre jour avec Gérard et Géraldine Le Chêne, les grands manitous de la manifestation, je me suis rappelé que l’éditeur haïtiano-montréalais chez qui j’ai fait mes débuts, les éditions du CIDIHCA, a été longtemps le voisin de palier de Vues d’Afrique dans le Vieux Montréal et que, pour le jeune homme que j’étais à l’époque, graviter autour de l’un signifiait forcément être happé de manière intermittente dans l’orbite de l’autre.

Je me suis demandé pourquoi ce festival me tenait à cœur et ça m’a amené à méditer sur des questions d’ordre à la fois esthétique et politique. Je n’ai certes pas à m’appesantir sur mes liens avec le monde et la culture noires, mais il faut peut-être rappeler à ceux pour qui l’Afrique est synonyme de sous-développement, de conflits ethniques, de barbarie que le continent noir est notre patrie à tous et toutes, qu’il est le berceau de la civilisation, le creuset de notre imaginaire collectif – peu importe notre couleur de peau ou l’identité dont nous voulons nous affubler. Il faut le rappeler, surtout quand on sait à quel point certaines instances décisionnelles à l’esprit obnubilé par le commercialisme ambiant continuent de remettre en question une manifestation qui braque ses projecteurs sur une production artistique qui nous oblige à sortir volontiers des sentiers battus.

N’en déplaise à ces esprits chagrins qui ont fait de l’individualisme forcené une vertu, ce monde que nous habitons, nous l’avons collectivement reçu en partage. L’ennui, comme je le signalais dans le petit mot que j’ai rédigé pour le catalogue de PanAfrica International 2010, c’est qu’il n’est guère plus question de véritable partage à notre époque où les puissances de l’argent, de l’armée et des médias combinées assurent à une minorité mesquine la mainmise non seulement sur les richesses de ce monde mais aussi sur le discours communément admis à son propos, une vision unique à laquelle il n’est guère permis de déroger. Et à la lumière de ces cas récents où des intellectuels et des chercheurs d’ici se sont vus intimer l’ordre de se taire sur les agissements d’entreprises canadiennes en sol africain, il m’apparaît plus essentiel que jamais de réaffirmer que l’Afrique est restée le théâtre crucial où se joue le drame essentiel de notre humanité.

En nous proposant depuis des années une programmation invariablement diversifiée, cette célébration du cinéma africain et créole nous invite à voir et à penser le monde différemment. Et à notre époque où la diversité culturelle s’impose comme un enjeu fondamental de la vie démocratique, des manifestations comme le Festival PanAfrica International m’apparaissent plus que jamais comme des événements culturels indispensables.

Enfin, en ma qualité d’écrivain d’origine haïtienne, de citoyens québécois certes mais issu d’un pays déjà pauvre et tragiquement éprouvé cet hiver par une énième catastrophe qui a surtout illustré la gravité de son dénuement, je garde en mémoire l’appel à la solidarité et à «la belle amour humaine» dont le regretté romancier haïtien Jacques Stephen Alexis [1922-1961] avait fait son idéal. Et c’est pourquoi je me sens d’autant honoré de m’associer à toute l’organisation de Vues d’Afrique pour vous souhaiter le plus agréable des festivals.