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Haïti: colère et choléra

Colère et choléra

Photo : Agence Reuters St-Felix Evens

Depuis la mi-octobre, l’épidémie de choléra qui aurait pris naissance à une centaine de kilomètres de Port-au-Prince s’est répandue comme une traînée de poudre et touche actuellement la moitié de l’île. En date d’hier, les autorités haïtiennes estimaient à plus de 1000 le nombre de décès, dont une quarantaine dans la capitale, alors que près de 17 000 personnes avaient été hospitalisées.

Lundi, des affrontements ont éclaté entre les Casques bleus et des manifestants en colère contre la mission des Nations unies, faisant au moins deux victimes et plusieurs blessés. À Hinche, dans le haut Plateau central, des centaines de ces manifestants ont jeté des pierres contre les soldats népalais soupçonnés d’être à l’origine de l’épidémie de choléra qui, depuis la mi-octobre, a provoqué près d’un millier de morts. Selon l’ONU, les soldats ont répliqué en ouvrant le feu par réflexe de légitime défense.

À Quartier-Morin, en banlieue du Cap-Haïtien, d’autres manifestants ont pris d’assaut une autre base de la MINUSTAH, près de laquelle on a ensuite retrouvé le cadavre d’un jeune de 20 ans. Quoique le porte-parole de la MINUSTAH n’ait initialement évoqué que l’usage de grenades lacrymogènes et de coups de feu en l’air destinés à disperser la foule, le juge de paix appelé pour constater le décès du jeune Capois a affirmé que les Casques bleus auraient plutôt tiré à hauteur d’homme, atteignant la victime dans le dos. Le jeune homme, a alors ajouté le porte-parole de la MINUSTAH, « portait une arme » et aurait « tiré en direction d’un soldat », lequel aurait « riposté en légitime défense ». Le corps d’un deuxième jeune homme abattu par balle a aussi été retrouvé après d’autres heurts avec les forces de la MINUSTAH, qui a par ailleurs déploré six soldats blessés.

Les racines du mal

En dépit des démentis officiels de la MINUSTAH — la force d’environ 14 000 soldats dépêchée par les Nations unies depuis la chute d’Aristide pour assurer la sécurité en Haïti —, la population tient toujours le contingent de soldats népalais arrivés au début octobre dans la région rurale de l’Artibonite pour responsables de l’épidémie. En effet, des enquêtes ont démontré que la caserne où étaient basés ces hommes réputés porteurs de la bactérie évacuait ses eaux usées et ses fosses septiques dans une rivière utilisée par la population comme source d’approvisionnement en eau.

Selon le docteur Christopher Braden, épidémiologiste du Center for Disease Control (CDC) interrogé par l’Associated Press au début de novembre, la comparaison des modèles d’ADN de la source bactérienne de la maladie avec ceux d’autres régions du monde a révélé que la branche qui sévit actuellement en Haïti serait bel et bien issue du Sud asiatique.

Au contraire d’une idée reçue, malgré la pauvreté et des conditions de salubrité qui laissent à désirer, Haïti n’a jamais été frappée par le choléra, dont la présence est avérée ailleurs dans les Antilles depuis deux siècles. Déjà dans son Histoire d’Haïti : 1827-1843, l’historien haïtien Thomas Madiou (1814-1884) écrivait : « Il est à observer que cette maladie n’est jamais parvenue en Haïti, même quand elle s’est trouvée en même temps tout autour de notre île, à St. Thomas, à Porto Rico, à la Jamaïque et à Cuba. »

Les élections au temps du choléra

De l’avis général, cette épidémie ne pouvait pas tomber à un pire moment. Loin d’être remis du tremblement de terre qui a ravagé ses infrastructures et causé un quart de million de morts en janvier dernier, le pays est déjà en état d’ébullition en raison des élections présidentielles, législatives et sénatoriales prévues pour le dimanche 28 novembre prochain.

Dans le climat chaotique actuel, certains s’interrogent sur la possibilité de reporter le scrutin, ce à quoi se sont opposés les principaux candidats à la présidence. « Il n’est pas raisonnable de penser à un report », d’opiner Mirlande Manigat, que les sondages donnent pour gagnante, interrogée par l’AFP. « On ne peut pas reporter les élections en raison du choléra », de renchérir Leslie Voltaire, qui brigue également le poste.

Vendredi dernier, prévoyant un nombre de 200 000 personnes présentant les symptômes de la maladie, les Nations unies ont sollicité des fonds d’urgence (163,8 millions) pour contenir l’épidémie. Pour sa part, Médecins sans frontières a indiqué par la voix de François Servrancks que l’on était « quand même en mesure pour le moment de gérer la situation. […] Mais malgré tout, je pense qu’on peut potentiellement parler d’un nombre très élevé de patients qui dépassera nos capacités ».

Paru dans «Le Devoir des écrivains», édition spéciale du Devoir,
le mercredi 17 novembre 2010.