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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Une voix qui porte, en français

Qu’est-ce qu’une voix qui porte? Jusqu’où porte-t-elle? Et que porte-t-elle au juste?

Voilà plus de quatre siècles que les premières Européennes, les premiers Européens à être venus s’établir en ces terres d’Amérique y ont apporté avec eux leur voix, véhicule de leur langue et de leur culture, de leur esprit et de leur âme.

De cette voix dont les échos ont porté d’un océan à l’autre, elles et ils ont voulu nommer le territoire, ses peuples aborigènes, sa faune, sa flore. Et au fil de leur aventure quatre fois centenaire, ces enfants spirituels de Saint-Jean-Baptiste ont cherché à exprimer qui elles et ils étaient à travers leur vision de ce Nouveau Monde appelé à devenir le leur.

Ce n’est pas un petit exploit d’avoir su découvrir, explorer, apprivoiser et habiter ce continent aux premiers abords hostiles. Ce n’est pas mince affaire d’avoir su non seulement planter des drapeaux, ériger des clochers, labourer la terre, récolter la moisson de ce labeur et le faire fructifier. Ce n’est pas une bricole d’avoir su faire résonner la langue de France de la Gaspésie jusqu’à la Louisiane, de l’Acadie jusqu’à la Côte Ouest de la Californie, de lui faire don de tous ces multiples accents qui l’assaisonnent comme les épices convoitées par les premiers découvreurs qui en cherchaient la route. Ce n’est pas rien d’avoir su établir des communautés sous la bannière de cette langue, celle de Molière et de Rabelais, celle de Jacques Cartier et de Ronsard, celle d’Émile Nelligan, de Gabrielle Roy, d’Yves Thériault, d’Anne Hébert, de Gaston Miron, de Guillaume Vigneault.

Cette voix qui porte, c’est une voie maritime qui a porté sur ses flots, à contre-courant, depuis l’Atlantique jusque dans les plus anonymes petits lacs du cœur de la forêt boréale, les rêves et les aspirations de ces pionnières et ces pionniers qui espéraient trouver ici une vie meilleure que celle que leur promettait la mère-patrie.

Cette voix qui porte, elle colporte les poèmes et les légendes, les noms et les pronoms, les adverbes et les actions de tout un peuple qui a choisi de ne pas se taire quand trop de gens l’y incitaient, qui a choisi de dorloter ses parlures et ses patois, ses mots d’amour et ses jurons, ses complaintes et ses clameurs de victoire.

Cette voix qui porte, c’est une voix chorale dont le chant s’est enrichi de tous les refrains et couplets d’ici, de toutes les cadences et rythmes d’ailleurs, une voix démultipliée qui nous incite à la danse comme au recueillement, aux réjouissances comme aux prises de consciences, aux cris comme aux chuchotements.

Cette voix qui porte, c’est celle qui crie dans ce désert aménagé par nos petites lâchetés quotidiennes, par notre indifférence à autrui et par la sensibilité qui nous fait parfois défaut. C’est celle qui nous rappelle notre devoir de dire haut et fort, de nommer pour aujourd’hui et les siècles à venir les obstacles au mieux-être de notre collectivité.

Cette voix qui porte n’est pas voie d’évitement. C’est une voie d’avenir, une voie prophète en son pays, qui annonce l’avènement de la convergence de toutes ces gens issus d’horizons divers, qui accepteront d’épouser notre cause qui n’est pas de survie mais de cause vie, de partage, de convivialité.

Cette voix qui porte, c’est la mienne, la tienne, la sienne, la leur et la nôtre. Ce sont toutes nos voix fondues en une seule, capable de garder vivants nos secrets et nos espoirs et tout ce qui nous fait exister.

C’est voix qui porte, elle porte tout ce riche héritage, ce patrimoine culturel et humain que nous comptons léguer à nos enfants et aux enfants de nos enfants encore à naître.

À l’instar de la Rome antique, notre Amérique, l’Amérique française, ne s’est pas faite en un jour. Et si, au gré de revers pas toujours favorables de l’Histoire, elle a perdu son étendue d’antan, si ces contours n’ont cessé de se voir redessiner, notre Amérique, l’Amérique française – dont le Québec contemporain est devenu par la force des choses à la fois l’imprenable château fort et l’imperturbable phare – n’a pas à plier l’échine, ni à s’excuser d’être et surtout pas à baisser la voix.

Voilà ce que nous célébrons avec fierté, avec orgueil tout à fait légitime, depuis 175 ans. Et voilà ce que nous continuerons de célébrer pour au moins 175 ans encore.

Stanley Péan
Président de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois