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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

PAPJazz 2019, Jour 1: Un nouveau retour au pays natal

Port-au-Prince à vol d’oiseau

Arrivé sain et sauf au chic hôtel Karibé où je séjournerai jusqu’à dimanche, à l’occasion de cette treizième édition du Festival international de jazz de Port-au-Prince. Après le rendez-vous manqué de l’an dernier, je suis évidemment fort heureux de me retrouver ici. Et un peu crevé au terme du voyage : levé à 2h30 du matin, je n’ai par bonheur pas vécu de complication aux douanes américaines cette fois-ci. Un incident amusant, cependant : lors de l’escale à l’aéroport d’Atlanta en fin de matinée, la charmante serveuse du restaurant Jekyll Island m’a demandé de produire une pièce d’identité attestant que j’avais l’âge pour consommer le verre de pino grigio commandé pour accompagner mon assiette de quesadillas aux crevettes. Voilà qui m’apprendra à me moquer indûment de Donald Trump qui affirmait il n’y a pas si longtemps qu’il fallait une pièce d’identité pour faire son marché!

Le Karibé n’a pas changé, évidemment. Sa splendeur fait toujours un violent contraste au bidonville à flanc de montagne, juste en face. S’il y a un lieu sur la planète où l’on peut constater de visu les scandaleuses inégalités économiques qui affligent nos sociétés, c’est bien en Haïti. Au comptoir du lobby, la ravissante réceptionniste cherche en vain dans son ordinateur mon nom sur la liste des invités de PAPJazz, me prie de l’épeler, me demande s’il ne serait pas possible que la réservation ait été faite à un autre nom. Puis finit par trouver, à la bonne heure! Je lui fais remarquer qu’elle, en tout cas, porte le même patronyme qu’un vieil amour de ma jeunesse.

– Et elle était jolie? s’enquiert-elle, un brin coquine.

– Bien sûr, mais pas autant que vous, lui dis-je du tac-au-tac, imitant de mon mieux le débonnaire Sean Connery en 007.

– Vous êtes charmant, merci.

Nous échangeons des sourires tandis qu’elle me tend la carte d’accès à ma mini-suite au deuxième. J’aime l’idée que ce type de badinage sans conséquence ne soit pas encore proscrit en Haïti, au contraire de bien des endroits en Occident. Et puis, autant l’avouer, chaque fois que j’arrive dans ce type d’hôtel, j’ai en tête des souvenirs des aventures de James Bond et autres films d’espionnage dont je raffole depuis l’enfance.

La carte s’avérant pour des raisons qui m’échappent non-fonctionnelle, il me faudra appeler la réception sur le téléphone mural dans le corridor. Une autre employée de l’hôtel vient à ma rescousse avec une autre carte d’accès, qu’elle me laissera en échange de l’autre.

Après m’être douché (enfin!) et changé, je prends le temps de grignoter une bouchée au bar en sirotant une bouteille de bière Prestige – en me remémorant ce slogan (Pataje Prestige ou) qui nous faisait tant rigoler, David Homel et moi, lors de notre séjour d’il y a trois ans. Accoudé au zinc, je sympathise avec Bruno, un Français employé par une société hexagonale chargée de la construction d’une plateforme portuaire qui réside tout près de l’hôtel et y a pris ses habitudes pour le café du matin et l’apéro, un grand verre de Jack Daniels, son péché mignon selon ses propres dires. Comme tous ses compatriotes, Bruno est à la fois étonné et amusé par mon accent québécois (qu’il désigne comme canadien). Mais alors qu’il vient de m’offrir une rasade de Barbancourt Cinq Étoiles, le chauffeur dépêché par PAPJazz pour me conduire au concert se pointe enfin, précédé par la jolie réceptionniste qui tentait en vain de me rejoindre à ma chambre pour me l’annoncer.

Allez, hop, cul-sec. Avec la promesse de remettre ça avec Bruno d’ici dimanche, je paie mon addition et me hâte vers la minivan du Festival. Parmi les autres passagers, il y a le fils de Doudou Boicel (j’oublie son prénom), qui travaille comme promoteur de spectacles dans la Caraïbe et en Afrique. Bon sang ne saurait mentir, décidément.

À ma précédente visite au PAPJazz, je n’avais pas assisté aux concerts présentés dans la cour du campus de l’Université Quisqueya. L’enceinte magnifique est bondée; plusieurs centaines de festivaliers et festivalières, la moitié assis au parterre, s’entassent dans une ambiance évidemment jubilatoire pour y écouter avec une attention qui me réjouit le saxophoniste français Émile Parisien, que j’interviewerai un peu plus tard ce soir pour Quand le jazz est là. Dans cette foule dense, je croise des visages familiers et fais quelques nouvelles connaissances; retrouver et enlacer virilement le grand manitou de PAPJazz, Joel Widmaier, me réjouit et c’est réciproque. D’ici mon départ dimanche, nous devrons prendre un moment pour discuter du Festival et de sa cause, la promotion du jazz kreyòl, pour mon émission radiophonique mais aussi pour ce papier que j’ai proposé au magazine L’Actualité. Une lointaine cousine m’accoste, me reprochant un peu de ne pas me souvenir de l’avoir connue et côtoyée à l’Université Laval il y a trente ans. Comme quoi la serveuse du Jekyll Island à l’aéroport avait vraiment tort de demander si le vieillard gâteux à la mémoire défaillante que je suis était en âge de boire du vin. Denny Crane! comme dirait William Shatner dans Boston Legal.

Après l’entrevue avec le saxophoniste Émile Parisien

Tandis que le multi-instumentiste Paul Beaubrun qui lui a succédé sur scène casse la baraque avec sa musique racine mâtinée de rock et de blues, Émile Parisien littéralement à bout de souffle, brûlé par sa propre prestation incandescente, me livre tout de même ses impressions d’Haïti et du festival, me parle de sa formation, de ses influences, de son cheminement. C’est bon. Le coup d’envoi est bel et bien donné, en ce qui me concerne.

Ayibobo!

January 24th, 2019
Catégorie: Commentaires, Événements, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

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