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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

PAPJazz 2019, Jour 2: D’un tandem à l’autre

Même sans trop de nouvelles l’Ambassade canadienne, qui m’a pourtant invité ici, la semaine se poursuit, baignée de réminiscences de séjours antérieurs au Karibé (une semaine à l’hiver 2015 pour une édition antérieure du Festival de jazz, une autre en juillet de la même année avec ma fille Laura et mes collègues de la délégation québécoise dépêchée par le Festival international de la littérature pour prendre part à l’événement Libérez la parole).

En début d’après-midi dans le jardin du Karibé, j’ai le plaisir de m’entretenir avec les pianistes Ray Lema et Laurent De Wilde, croisés la veille à l’Université Quisqueya, qui se produiront en duo le soir même au Ciné Théâtre Triomphe, sur Champ de Mars. J’ai connu la musique du vétéran congolais sur deux disques exceptionnels paru dans les années 90 (Green Light et Stop Time, Buda Musique 1996 et 1997), mais je n’ignore pas non plus ses liens avec l’afrobeat (Fela Kuty, Tony Allen). Avec De Wilde, ce sont quasiment des retrouvailles haïtiennes : en 2015, alors qu’il prenait part à PAPJazz pour une première fois, il avait non seulement été mon invité à Quand le jazz est là, mais avait prononcé une brillante conférence sur Thelonious Monk à qui il avait consacré une biographie incontournable et surtout ébloui l’auditoire de son concert à l’Institut français en invitant une troupe de tambourineurs et cornistes rara à se joindre à son trio.

Ciné Théâtre Triomphe, Port-au-Prince

Rénové à grands frais sous le régime de Martelly, inauguré en juin 2015, le Ciné Théâtre Triomphe avait vu le jour en 1974 et compté pendant une quinzaine d’années parmi les principales salles du centre-ville de Port-au-Prince. Je rappelle à Joël Widmaïer que c’est là que nous nous sommes rencontrés à l’automne 2014, lors d’une réception visant à faire découvrir l’ampleur des travaux de réaménagement destinés à rendre l’établissement apte à accueillir non seulement des projections cinématographiques, mais aussi des spectacles des arts de la scène, comme la danse et le théâtre. En toute absurdité, quelques mois après sa réouverture, le Triomphe fermait à nouveau sur ordre du Ministère de la Culture, pour ne plus ouvrir que ponctuellement pour des colloques et des conférences.

Peu de temps avant le début du programme double de ce soir, on m’offre l’occasion d’interviewer les frères Wasserfuhr, un tandem de frères musiciens allemands dont j’apprécie grandement les disques sous étiquette ACT et qui lanceront la soirée. Le pianiste Roman et son cadet trompettiste Julian me livrent candidement leurs impressions de Port-au-Prince, de son festival de jazz, du public pour qui ils ont joué la veille, juste avant Émile Parisien. En sirotant une ou deux bouteilles de Prestige, nous échangeons aussi sur l’Allemagne (où j’ai de la famille après tout), la diffusion du jazz européen en Amérique et la bière puisque les deux lascars possèdent une microbrasserie, dont ils vendent la production lors de leurs concerts en Europe. « Nous produisons environ 1000 litres par mois, » de m’apprendre Roman. « Ce qui est tout juste suffisant pour étancher sa soif, » d’ironiser son frangin.

Musicalement, la soirée se révèle époustouflante. Comme je le leur ai fait remarquer, il y a quelque chose chez les Wasserfuhr qui rappelle le jardin sonore qu’arpentaient tout en délicatesse Chet Baker et Bill Evans sur leurs rares collaboration. Parmi les thèmes qu’ils choisissent d’interpréter ce soir, une sorte de compilation d’extraits de leurs albums, on reconnaît « Englishman in New York » de Sting, qu’on aurait pu rebaptiser « German Guys in Port-au-Prince ». Ils offrent aussi à leur public, hélas pas aussi nombreux que l’auraient souhaité les organisateurs, un inédit prétendument composé en avion vers la Perle des Antilles, laconiquement intitulé « Haïti ».

À leur tour, Ray Lema et son complice Laurent De Wilde prendront la scène pour une heure et quelques de musique somptueuse. Leur dialogue pianistique se fait sans heurts sur des thèmes essentiellement composés pour leur disque Riddles (Gazebo, 2016), qu’il me faudra bien découvrir, même si De Wilde me confiait cet après-midi son impression que leurs prestations en concert, affinées au fil des mois, des années qui ont suivi la sortie de l’album, se situent à des années-lumière de l’enregistrement en termes d’inspiration et d’exécution. Mais quelle belle relecture de la chanson « Around the World in a Day » de mon regretté Prince! Je l’aurai dans la tête pour le reste de la soirée…

January 25th, 2019
Catégorie: Nouvelles Catégorie: Aucune

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