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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Chicago sans toi

– Tu retournes à Chicago? Sans moi? avait commenté mon fils Philou Ier, avec brin d’envie mêlé de reproche et d’indignation à demi-feinte, en apprenant la nouvelle.

Trop cute, mon garçon. J’avais dû lui faire valoir que puisque ce serait ma troisième visite de la Ville des Vents et qu’il ne m’y avait accompagné qu’une seule fois, sur le plan des statistiques, je pourrais bientôt affirmer que 66% de mes séjours à Chicago se déroulaient sans lui. (Tu parles d’une logique tordue, père indigne!)

Autant l’avouer tout de suite, je me doutais bien que je serais retenu à la douane à l’aéroport Trudeau. Après tout, à mon précédent voyage aux États-Unis à l’automne 2015, on m’avait fait poireauter dans une petite salle d’attente avant de me faire subir un interrogatoire en bonne et due forme à propos de cette invitation à aller prononcer une conférence à la Faculté d’études françaises et francophones de l’Université d’État de New York à Buffalo. Suspectes, les activités d’un intellectuel en délit de faciès? You bet. Et c’était à l’époque d’Obama, imaginez!

Comme de raison, j’ai été sélectionné au hasard pour un contrôle de sécurité : on voulait vérifier si je ne m’étais pas, au contraire de ma déclaration, récemment rendu sur une ferme, si je posais une menace sur le plan de l’agriculture. Une formalité, évidemment. Encore heureux que le douanier d’hier matin, un costaud d’origine polonaise se soit avéré beaucoup plus cordial que son collègue qui m’avait retenu dans son bureau il y a un an et demi. Après que je lui ai répété que je gagnais ma vie à animer une émission de jazz à la radio, il s’est mis à déballer des détails sur les prestigieux invités du Festival international de jazz de Montréal dont il avait personnellement autorisé l’entrée au Canada au cours des dernières années, dont la capiteuse britannico-nigériane Sade Adu et son groupe.

Ma nuit de jeudi à vendredi ayant été si brève, je me suis endormi quelques minutes après le décollage et n’ai quasiment rien vu du voyage ni du film que j’avais présomptueusement lancé sur la mini-télé à circuit fermé devant moi. Débarqué de mon avion dix minutes avant l’heure prévue, j’ai vite rejoint le chauffeur de la SUV noire qui devait me conduire au majestueux Sofitel Magnificent Mile, ma base d’opération pour les prochains jours, dont le design architectural en biseau m’a vivement ébloui.

Sofitel Chicago

Je dois à la romancière Aimée Laberge, directrice des programmes culturels de l’Alliance française de Chicago, cette occasion de passer le week-end dans la métropole du Midwest, séjour qui coïncide avec une tournée de l’Académicien Dany Laferrière dans cette région des États-Unis. La perspective de passer quelques jours en compagnie de mon immortel ami et de sa charmante épouse Maggie avait rendu cette invitation encore plus alléchante, c’est vrai. Mais compte tenu de mon amour pour Chicago, ville à tout jamais liée à un amour solaire si intense qu’il m’a brûlé les ailes, nul besoin de véritable prétexte pour revenir arpenter les trottoirs de cette toddlin’ town en faisant fi du sidewalk demon, créature maléfique que je m’étais plu à imaginer pour amuser ma bien-aimée V. lors de notre voyage ici.

Je dois aussi à Aimée le nom des personnes à contacter pour alimenter le papier que je me suis engagé à écrire pour Le Devoir sur l’héritage francophone méconnu de Chicago. Que reste-t-il, en effet, du souvenir de Jean-Baptiste Pointe du Sable, mulâtre né homme libre de Saint-Marc dans la colonie de Saint-Domingue (avant qu’elle reprenne son nom original d’Haïti), qui établit en 1779 un comptoir commercial sur la rive nord de l’embouchure de la rivière Chicago? Quoique quasiment rhétorique, la question ne manque pas d’intérêt à la veille des deux allocutions de Dany, premier écrivain haïtien élu à la prestigieuse Académie française.

Dany Laferrière

J’ai passé le début de l’après-midi à revisiter la fabuleuse collection d’œuvres sculpturales et picturales impressionnistes assemblée au fil des ans par l’Art Institute of Chicago, guidé par la sympathique Gloria Groom, commissaire principale de la vénérable institution décorée de la Légion d’honneur en 2016. Puis j’ai eu droit à une fort instructive promenade à pied dans le Loop en compagnie de Pascale Kichler, qui donne notamment un cours sur l’influence française sur l’architecture de Chicago aux étudiants de la De Paul University.

Après une brève escale aux bureaux de l’Alliance française, j’ai pris l’apéro au Café des architectes, le resto du Sofitel, avec Dany et Maggie, venus respectivement de Paris et de Montréal pour se retrouver à Chicago. Tandis qu’Aimée Laberge finissait de régler les détails logistiques du séjour du couple en Illinois, mon vieux frère Dany et moi échangions chaleureusement quelques anecdotes, trop heureux de nous revoir, quelques mois à peine après notre précédente rencontre à l’inauguration de la Maison d’Haïti.

Driehaus Museum

Affichomania

Mais bien vite, il m’a fallu repartir avec mon hôtesse pour aller assister au vernissage de l’exposition L’Affichomania : The Passion for French Posters au Driehaus Museum. Dans les pièces des étages supérieurs de cette luxueuse résidence de l’âge d’or de l’architecture chicagoan, restaurée et convertie en musée par le philanthrope Richard H. Driehaus, on pourra voir jusqu’à janvier 2018 une cinquantaine d’affiches originales datées de la Belle Époque et signées par les grands maîtres Jules Chéret, Eugène Grasset, Alphonse Mucha, Henri de Toulouse-Lautrec et Théophile-Alexandre Steinlen, toutes issues de la collection de personnelle de M. Driehaus. Ce vernissage était l’occasion parfaite de faire la connaissance de l’État-major de ce musée que je ne connaissais pas, dont Lise Dubé-Scherr, directrice du Musée, originaire du Québec.

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Chez Moi

Ensuite, Aimée Laberge m’a laissé aux bons soins du chef Dominique Tougne, dont le bistro Chez moi sis dans le cœur de Lincoln Park s’est avéré une escale incontournable de mon pèlerinage. Tandis que je dégustais un succulent demi-poulet rôti au jus, couché sur un nuage de purée de pommes de terre assorti de salade et de mini-poivrons grillés et un délicieux Saint-Émilion, je me suis longuement entretenu avec ce bon vivant d’origine dordognaise de cuisine et de gastronomie (évidemment!), mais aussi de la langue et de la culture française, de la transmission de celle-ci, des grandeurs et des travers de la société américaine, de musique, de médias et de nos enfants.

Repu, comblé, mais aussi un brin crevé, je suis rentré au Sofitel et me tâte à savoir si je vais vraiment ressortir écouter du jazz ou reporter mes velléités de mélomane à demain soir…

February 10th, 2017
Catégorie: Commentaires, Événements, Lectures, Réflexions Catégorie: Aucune

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