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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Haïti 2014, jour 8: Le jour J

« Nou kap dim ki jou nou ye jodiè an ? lancera Prophète, l’un des clowns de Cirque Kreyol, à la foule d’enfants en délire assemblés au pied du kiosque en face de l’école Dumarsais-Estimé à Bel-Air.

— Jeudi! répondront prosaïquement les enfants en choeur, beaucoup trop pris dans l’instant pour saisir le sens exact de la question.

Toutes les activités qui ont précédé ce 20 novembre n’ont constitué en fait que le long prélude à la journée d’aujourd’hui. Et même si le hasard a compté pour beaucoup dans le choix des dates de mon séjour en Haïti, on peut se réjouir qu’au beau milieu de cette tournée conjointe de Cirque créole et de moi-même, il y ait ce 25e anniversaire de la convention relative aux droits de l’enfant.

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Ce matin, j’ai animé deux ateliers d’écriture, le premier à l’école communale Carl-Brouard à Carrefour, le suivant à Dumarsais-Estimé. Pas facile d’attiser l’intérêt et de capter l’attention de ces jeunes garçons et filles dans ces conditions : aux bruits assourdissants de la rue s’ajoutent les échos de tout ce qui se passe à l’intérieur des écoles. Tant bien que mal, j’ai tenté de leur inculquer les rudiments de l’art du récit, essayé de leur faire écrire sur leur routine matinale, sur le souvenir le plus cher de leur voisin de pupitre. Ils et elles n’ont pas toujours suivi mes consignes, que j’imaginais pourtant clairement énoncées, mais ont au moins semblé prendre un peu de plaisir aux exercices proposés. Comme aux élèves réunis à Côte Plage deux jours plus tôt, j’ai proposé en terminant un échange, les ai invité à me poser toutes les questions qu’ils et elles avaient sur mon métier, ma vie au Canada, mon lien avec Haïti, etc.

Évidemment, encore une fois, le clou de notre visite, c’est le spectacle de Cirque Kreyol. Comme il me fallait vite rouler vers Bel-Air après ma séance à Carl-Brouard, je n’ai pas pu assister à la prestation offerte par la troupe au Marché Salomon. À Bel-Air, où la police a bloqué les rues qui se croisent devant Dumarsais-Estimé, je me mêle à la foule pour recueillir les impressions des jeunes émerveillés mais aussi des passants adultes, intrigués par l’événement. « Ils sont formidables, me dira en substance ce père de famille, qui renoue apparemment avec sa propre enfance. Quand on voit des trucs semblables à la télé, on se dit que c’est une affaire de trucage. C’est la première fois que j’assiste à un spectacle pareil. Et je suis très fier de constater que des garçons de chez-nous aient autant de talent. »

Tout l’enthousiasme suscité par la performance à Bel-Air ne nous fait pas oublier que la journée n’est pas finie. Nous avons tout de même le temps d’une escale à la Fondation Culture Création, pour y casser la croûte : duri pwa sòs, bannann peze et boulettes de viande, vite fait, bien fait. Personnellement, je m’inquiète de la lenteur de téléversement des fragments de l’émission de Quand le jazz est là à diffuser demain sur ICIMusique que j’envoie à Montréal pour montage : il reste encore les extraits d’entrevue avec Joel Widmaier et Milena Sandler à faire parvenir au réalisateur Yves Bergeron, qui a été chargé de l’assemblage des musiques et de mes interventions.

Il nous faut de nouveau traverser la ville vers Tabarre, où nous avons rendez-vous à Terrain Toto, l’un des derniers camps de « personnes déplacées » à la suite du tremblement de terre de janvier 2010. C’est une chose de voir à la télévision ces tentes et abris de fortunes en taule; c’en est une autre de circuler entre elles. Les problèmes de salubrité, d’insécurité, de violences diverses sont le lot quotidien de cette population. Je veux bien qu’ils et elles soient de moins en moins nombreux à vivre dans ces conditions inacceptables, mais leur sort me désole tout de même, surtout cinq ans après le séisme.

Fort heureusement, l’idée aujourd’hui est d’offrir aux enfants de cette zone un bref moment de magie, une ouverture sur l’imaginaire avec nos acrobates, danseurs et jongleurs. Pour l’occasion, la toute nouvelle ambassadrice du Canada en Haïti, Mme Paula Caldwell Saint-Onge, s’est déplacée avec sa garde rapprochée et j’apprends qu’elle a des liens passés avec Haïti où elle a vécu, me confie-t-elle dans un créole étonnamment juste, « lè li te timoun ».

À Terrain Toto (Tabarre)

 

A Terrain Toto (Tabarre) 2     A Terrain Toto (Tabarre) 3     A Terrain Toto (Tabarre) 4

Mission accomplie, oserais-je opiner sans fausse modestie. Si je me fie à cet ado de Terrain Toto interrogé après la présentation, il en faudra toutes les semaines, des spectacles comme ça, au camp.

Il faudrait en somme que les idéaux de la Journée internationale des droits de l’enfance soient en vigueur à l’année longue.

November 21st, 2014
Catégorie: Commentaires, Réflexions Catégorie: Aucune

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