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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Haïti 2014, jour 7: Entre barbelés et barreaux, le soleil

Une fois nos compagnons de Cirque Kreyol cueillis au lieu de rendez-vous habituel, Place Pétion sur le Champ de Mars, Katel et moi remontons dans Delmas vers Cermicol, un centre de détention préventive pour délinquants juvéniles construit il y a moins d’une dizaine d’années. Mais les choses se compliquent dès notre arrivée. D’abord, il faut attendre le directeur de l’établissement, l’inspecteur Dieucilhomme P. Joseph, qu’une urgence retient à l’autre bout de la ville et sans la présence et sans l’approbation de qui aucune activité ne saurait débuter. C’est normal. Et quand on sait la difficulté à circuler dans cette fourmilière qu’est Port-au-Prince, on comprend qu’il faut se munir de patience — la seule arme permise en ce lieu.

J’ai lu un peu sur Cermicol, qui a été la cible des critiques du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) l’automne dernier. À la suite d’une enquête réalisée entre juillet et octobre 2013, l’organisme avait dénoncé le « châtiment inhumain et dégradant » infligé par l’État haïtien aux jeunes détenus, les problèmes de promiscuité qui règnent dans les établissements de ce type. « Ces conditions inhumaines sont aussi aggravées, par le fait qu’ils sont placés en prison, en situation de détention préventive prolongée, sans aucune idée de leur jour de sortie, ce qui, en soi, constitue un acte de torture, » ajoutaient les auteurs de l’enquête, dont faisait état un article paru sur AlterPresse.org l’année dernière.

Ces blâmes sévères, on le devine, s’adressent moins aux officiers qui doivent veiller au quotidien à la bonne marche de Cermicol et d’autres prisons du genre qu’au gouvernement qui, manifestement ne sait pas tenir ses engagements en matière de réhabilitation de contrevenants mineurs. Je comprends que tous les détenus ne sont pas forcément des enfants de chœur ou des brebis égarés (encore que je parierais volontiers que ce soit le cas pour la majorité), mais laisser croupir indéfiniment en prison ceux d’entre eux qui se sont rendus coupables des larcins anodins n’est certes pas la meilleure manière d’assurer la suite pour ce pays en perpétuelle (re)construction.

À Cermicol 1

Après les interminables mais compréhensibles vérifications de sécurité (il y a eu du grabuge pendant une manifestation hier, des morts civils mêmes, et la police est sur les dents), les artistes de Cirque créole et moi retrouvons un peu plus d’une soixantaine des jeunes prisonniers dans une salle de classe bien éclairée pour la première partie de notre intervention du jour. Après les mots de bienvenue prononcés tour à tour par Colette Armenta-Pérodin de la Fondation Culture et création et par Arielle Jeanty Villedrouin, la sympathique directrice de l’Institut du Bien-être social et des recherches (IBESR), qui a copiloté l’initiative d’aujourd’hui, je prends la parole dans mon créole laborieux devant ces jeunes triés sur le volet par l’inspecteur. J’ai renoncé à leur lire de mes textes, pour privilégier un échange direct autour de mes activités professionnelles. De toutes les réalisations dont je leur parle, il semble que ce soit le film de Pierre Bastien sur mon rapport avec Haïti, Carnets d’un Black en Ayiti, qui attise le plus leur curiosité. Ah, le pouvoir d’attraction du cinéma! Je promets à ces jeunes de faire les démarches nécessaires pour que le moyen métrage documentaire leur soit présenté éventuellement.

Parmi les questions de ces adolescents, deux me touchent plus particulièrement. « Avez-vous déjà envisagé d’écrire sur la vie des jeunes en prison? » me demande l’un d’eux. Si ma réponse bien candide est non, il va sans dire que cette rencontre aura forcément des répercussions sur mon imaginaire. « Croyez-vous qu’on puisse devenir écrivain même si on vit en prison? » s’enquiert un autre, qui me confiera par la suite qu’il écrit sur ses expériences. Et bien évidemment, je les informe que la littérature mondiale compte de nombreux exemples d’écrivains dont la vocation s’est révélée en prison, que toute prise de parole est légitime et que pour devenir un écrivain, il suffit d’écrire, avec application, avec le souci de trouver sa propre voix et sa propre voix.

J’en ferai plus tard la remarque à Colette, ces garçons ont un tel besoin de témoigner de leur réalité, de faire entendre leur misère qu’il aurait sans doute été plus indiqué de leur proposer un atelier d’écriture plutôt qu’un exposé sur le travail d’écrivain.

À Cermicol 2

Sous le soleil tapant de treize heures, cette fois devant l’ensemble des détenus de Cermicol réunis dans la cour arrière, se déroule la deuxième portion de notre intervention, la plus proprement spectaculaire. Danse, acrobaties, hautes voltiges, jongleries, clowneries : les artistes de Cirque Kreyol ont plus d’un tour dans son sac pour épater les jeunes en deuil d’émerveillement. La présentation dure tout juste une demi-heure, mais on sent que les jeunes, ébaubis, en auraient repris encore et encore. À vrai dire, même les gardiens. Je l’ai dit, je le répète: un nez de clown, c’est le soleil au milieu du plus triste des visages, un soleil qui fait éclore des sourires d’enfants comme autant de fleurs…

Mais toute bonne chose a une fin hélas et, pour ma part, il me faut filer rejoindre Joël Widmaier à Radio-Métropole pour terminer l’émission promise à ICI Musique pour diffusion vendredi soir.

Mais je compte bien tenir parole et revenir, si on me le permet en janvier, encourager ces jeunes à prendre la plume pour chercher dans l’écriture une voie de salut.

November 20th, 2014
Catégorie: Commentaires, Réflexions Catégorie: Aucune

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