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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Devoir de mémoire, de respect

L'affiche de l'exposition consacrée à Roland Giguère, présentée du 1er décembre 2009 au 1er mai 2010 à la Grande Bibliothèque

Est-ce la laideur du sigle du CAQ, le tout nouveau déjà vieux parti de François Legault lancé officiellement hier, qui rappelle à mon souvenir que le poète Roland Giguère [1929-2003], également artiste visuel, revenu de son exil parisien à la faveur de la Révolution tranquille, fut le concepteur du signe du Parti québécois? Bien sûr que non, car j’avais en tête l’auteur de L’Âge de la parole depuis quelques jours déjà, en raison de cette controverse stupide lancée l’autre samedi, tandis que je séjournais en Hollande.

Ainsi que le rapportait Mélissa Guillemette dans Le Devoir, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) hésiterait à baptiser la future maison des arts et lettres d’Ahuntsic en l’honneur de l’artiste et poète qui résidait dans le quartier sous le fallacieux prétexte que celui-ci s’est enlevé la vie en 2003 et que cela donnerait une mauvaise image aux jeunes. Je ne peux m’empêcher de voir là une autre manifestation de la frilosité et du paternalisme navrants dont sait parfois faire preuve la CSDM à l’égard de la culture et de ses figures de proue; car, enfin, honorer la mémoire d’un monstre sacré de la poésie d’ici n’équivaut quand même pas à inciter les ados à sauter du haut du pont Jacques-Cartier.

À ce compte-là, pour protéger nos jeunes de ces mauvaises images, il faudrait non seulement débaptiser les Prix Jutra, le Pavillon Hubert-Aquin de l’UQAM, la salle Pauline-Julien, etc., ainsi que le souligne l’actuelle présidente de l’UNEQ, Danielle Simpson, dans sa lettre fort pertinente adressée à la présidente de la Commission scolaire, mais tant qu’à y être il faudrait faire disparaître de l’aire publique toute référence à des suicidés célèbres, de Marilyn Monroe à Nelly Arcand, en passant par Vincent Van Gogh, Ernest Hemingway, Virginia Woolf, Stefan Zweig, Cesare Pavese, Mike Brant, Ian Curtis, Kurt Cobain, etc.

Si nul ne saurait nier que le taux de suicide chez nos jeunes est un problème préoccupant, je crois cependant qu’il serait plus indiqué de chercher la cause et le remède au mal de vivre qui pousse certains à attenter à leurs jours avant d’avoir atteint l’âge de voter plutôt que de se livrer candidement à cette bête opération cosmétique qui consiste à gommer de notre mémoire les hommes et les femmes de valeur qui ont choisi cette voie d’évitement, nonobstant la valeur de leur contribution à notre culture.

Car il me semble que nous avons collectivement un devoir de mémoire et de respect à l’égard d’artistes de la trempe de Giguère qui, dans son poème «Nous avons plus de temps» dédié à son compagnon de route Gaston Miron, écrivait:

Nous avons perdu le cours de l’histoire
nous n’avons plus le sens de la vie
nous avons oublié l’objet dans le tiroir
nous ne reviendrons plus ici
avant que tout ne soit changé en étoiles
en feuilles fraîches en chemins clairs

quand notre langue sera sans ombre
alors nous reviendrons de très loin
en habits de lumière

 

November 15th, 2011
Catégorie: Commentaires, Lectures, Réflexions Catégorie: Aucune

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