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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Jour 4: L’écriture, comme un dialogue avec nos morts

Hier après-midi sur la Piazza Duomo de Piacenza, devant un parterre d’une quarantaine de personnes, en guise d’apéritif au Festival de blues auquel je n’assisterai pas puisque je retourne à Milan, se tenait une causerie sur Zombi Blues animée par le sympathique romancier italien Beppe Sebaste et ponctuée par les chansons de Kevin Welsh.

Stimulé par ses questions et commentaires, j’ai pu aborder certaines facettes de mon oeuvre en général et de ce roman en particulier dont je discute rarement: j’ai notamment exploré davantage cette idée, empruntrée à mon mentor Maximilien Laroche de la zombification comme métaphore de l’esclavage et nous avons échangé sur l’importance et la signification que je prêtais à la musique, sur la fonction des rêves et du fantastique, et sur l’omniprésence de la mort dans la culture et l’histoire haïtiennes. Et pour illustrer mon propos, j’ai évoqué l’habitude qu’avait ma regrettée tante Michèle de systématiquement offrir la première gorgée d’une bouteille de vin nouvellement ouverte aux esprits qui sont toujours à nos côtés.

À mon insu, Michèle avait poussé son dernier soupir le matin même à Säarbrucken.

Je viens tout juste de l’apprendre ce matin, par l’entremise d’un courriel fatidique de ma soeur Mie-Jo, au sortir d’un sommeil embrumé par la fatigue et les night-caps à répétition, partagés avec Victor Gishler, le dernier de mes «mauvais» compagnons à avoir pris le chemin du lit.

C’est vraiment trop bête. Je m’en veux. Je m’en veux pour l’avoir carrément négligée ces dernières semaines. Ma mère m’avait pourtant répété que l’état de sa soeur cadette se dégradait, qu’elle risquait bien de ne pas voir arriver l’été. Mais je n’ai cessé de jouer à cache-cache avec l’imminence de son départ, convaincu que j’aurais encore le temps de la rejoindre à l’hôpital, ne serait-ce que pour faire des adieux en bonne et dûe forme à cette femme qui a tant compté pour l’écrivain, pour l’homme que je suis. C’est Michèle, par exemple, qui m’a fait connaître l’Europe en m’y invitant à ses frais l’été de mes 24 ans, pour concrétiser un voeu pieu de son défunt beau-frère, mon père, qui estimait qu’un jeune écrivain se devait de connaître le Vieux Continent. Je n’avais jamais su ce qui motivait cette invitation avant que Michèle me l’avoue à demi-mot, à Bordeaux où elle m’avait rejoint pour mes 40 ans.

C’est trop bête. Je m’en veux. Mais je n’ose pleurer, par encore. Merde! Je croyais sincèrement avoir le temps. Hier encore, j’avais écrit à sa fille Joëlle, pour demander des nouvelles et promettre de prendre une minute pour téléphoner avant le week-end. Mais la Faucheuse n’attend pas. Et me voilà avec ces mots jamais prononcés, coincés dans ma gorge nouée.

Durant notre entretien public d’hier, Beppe Sebaste a émis cette idée fort juste selon laquelle la littérature serait une forme bien particulière du dialogue que nous entretenons constamment avec la mort, ce à quoi j’ai rétorqué qu’elle était aussi, souvent, heureusement, une occasion de rencontre et de dialogue avec les vivants.

Ce matin, au souvenir de ma dernière discussion avec ma chère Michèle, dans cette pizzeria bordelaise au lendemain de mon quarantième anniversaire, je prends douloureusement conscience du fait qu’entre elle et moi la conversation ne pourra plus se poursuive que de manière virtuelle. Et cela m’attriste. Terriblement.

Repose en paix, chère tante. Ce soir, je te servirai la lampée de vin qui te revient de droit.

May 20th, 2010
Catégorie: Commentaires, Événements, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

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