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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

José Saramago [1922-2010]: porteur de lumière

Jose Saramago, Nobel de littérature 1998

J’ai appris la triste nouvelle hier, tandis que je soupais au Sultan avec les membres de l’organisation du concours littéraire Sors de ta bulle. J’ai cependant attendu d’être à bord du bus qui fait la liaison entre Sherbrooke et Sainte-Foy pour réagir à tête reposée. Le géant des lettres contemporaines, l’écrivain, journaliste et blogueur José Saramago, Nobel de littérature en 1998, s’est éteint hier sur l’île espagnole de Lanzarote, à l’âge de 87 ans. Le Portugal, qui a manifestement une plus grande considération pour les arts et les lettres que le Québec ou le Canada, a décrété deux jours de deuil national. (José Who? demanderait sans doute Stephen Harper si on l’interrogeait à ce sujet, mais n’insistons pas…)

Autodidacte issu d’un milieu modeste, militant gauchiste et altermondialiste, écrivain engagé à une époque où triomphe l’insignifiance et le désengagement, Saramago a élaborer en plus de soixante ans de carrière littéraire une œuvre foisonnante, dense, à la fois inquiétante et porteuse de lumière, dont j’ai lu quelques titres : L’Aveuglement, Le Dieu manchot, L’Évangile selon Jésus-Christ, Le Voyage de l’éléphant (que j’ai commenté élogieusement l’automne dernier à l’émission Vous m’en lirez tant de la Première Chaîne de Radio-Canada) et quelques autres. Étrange coïncidence : en février dernier, le visionnement de l’adaptation cinématographique de L’Aveuglement m’a inspiré les paroles d’une chanson qui évoque aussi le séisme en Haïti que l’Amiral Rozankovic et moi avons offert à Marie-Denise Pelletier pour son prochain album. On peut lire sur ce site le texte de cette chanson intitulée «Trouver la lumière», écrit sur la mélodie d’une précédente chanson en anglais et appartenant à mon «Cycle impérial».

Autre coïncidence sans réelle conséquence, un an jour pour jour avant sa mort, Le Monde publiait un article sur la controverse entourant le refus de son éditeur italien de publier son ouvrage Le Cahier, recueil d’articles initialement parus sur son blogue où l’écrivain se permettait des attaques virulentes contre Silvio Berlusconi, qu’il désignait sous le sobriquet de la «Chose». «Au pays de la Mafia et de la Camorra, quelle importance peut avoir le fait, pourtant avéré, que le premier ministre soit un délinquant,» écrivait par exemple Saramago, avec sa verve coutumière.

L’ennui, c’est que la prestigieuse maison Einaudi – bête noire du régime de Mussolini, éditeur italien de La Pléiade, au catalogue de laquelle figurent notamment les œuvres de Pavese, de Calvino et de quelques autres glorieuses plumes italiennes – est devenue en 1994 propriété du groupe Mondadori qui fait partie de l’empire médiatique de la «Chose», à l’instar de bon nombre de maisons d’édition italiennes. (Ce qui me fait apprécier encore plus la chance que j’ai eue d’être publié en Italie chez Marco Tropea, éditeur de gauche qui compte Noam Chomsky parmi les figures de proue étrangères de sa maison.) Auteur vedette de la maison depuis une vingtaine d’années, Saramago soulignait avec ironie grinçant qu’il avait sans doute fait gagner de l’agent à Berlusconi, «pour s’acheter des cigares, en supposant que la corruption ne soit pas son seul vice».

Toujours selon Le Monde, deux jours après que le quotidien espagnol El Pais ait publié des photos interdites en Italie de Berlusconi recevant des jeunes filles peu habillées dans sa villa de Sardaigne, Saramago renchérissait à l’occasion d’une entrevue accordée au même journal : «J’ai appelé cette Chose “délinquant” et je ne le regrette pas. Cette Chose, cette maladie, ce virus menace d’être la cause du décès moral du pays de Verdi, si un vomi profond ne parvient pas à l’arracher de la conscience des Italiens avant qu’il ne finisse par ronger les veines et détruire le cœur de l’une des cultures les plus riches du monde.»

Pour cette verve, ce franc-parler mais aussi, surtout, pour ses romans lumineux qui interrogent volontiers l’Histoire et l’âme de l’humanité, ses romans portés par un style unique, une écriture touffue qui fait l’économie des majuscules et se moque des règles de la ponctuation, il nous manquera cruellement.

June 19th, 2010
Catégorie: Nouvelles Catégorie: Aucune

Un commentaire à propos de “José Saramago [1922-2010]: porteur de lumière”

  1. Kim Francoeur a écrit:

    Bravo pour [ce texte] sur Saramago et merci de partager si généreusement tes impressions avec nous…

    Bonne journée!

    K.

    [Transmis via Facebook]

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