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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

In memoriam Sylvain Lelièvre: Toi, l’ami

L’autre jour, j’écrivais dans ces carnets à quel point Sylvain Lelièvre me manquait, comme homme, comme artiste. Nous n’étions pas des intimes, pourtant, mais sa voix et ses mots me sont restés essentiels. Nos routes se sont croisées dans des salons du livres et des soirées du milieu littéraire, à partir du début des années 1990. Mais je le connaissais par ses disques et l’admirais profondément depuis bien longtemps. Avant même de le rencontrer à titre de «collègue», j’estimais déjà «L’embellie», «Petit matin», «Venir au monde», «Rock, banana split et crème soda» et même l’archi-connue «Marie-Hélène» comme des bijoux de cet art qu’on qualifie (injustement à mon sens) de mineur.

En 1994, à bord d’un bateau qui faisait faire une petite croisière sur le fleuve aux invités du Salon du livre de Québec, il chantait avec la conviction qu’on savait sienne «Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves?». À l’automne 1998, au D’Auteuil, à l’occasion du 25e anniversaire de la librairie Pantoute, c’était lui qui berçait avec ses musiques et ses vers ces réjouissances dont j’étais le maître de cérémonie. À son troisième set, comme convenu avec Denis Lebrun, le patron de la librairie, j’ai rejoint sur scène Lelièvre pour interpréter en duo avec lui trois petits standards de jazz:

— J’ai accepté de chanter avec Sylvain Lelièvre ce soir, messieurs dames, parce que c’est un p’tit chanteur bien sympathique qui mérite que je lui donne un coup de pouce pour sa carrière, avais-je dit, ironique, pour amuser la galerie.

— Et moi, j’ai accepté de laisser chanter trois chansons à Stanley parce que j’ai bien hâte de voir comment se débrouille un écrivain/journaliste qui se targue de parler de jazz comme un connaisseur, de répliquer Lelièvre à son clavier, sur le même ton taquin.

Et nous y étions allés de trois standards, dans l’ordre «Round Midnight» (dont j’avais privilégié le texte de l’adaptation créole, juste pour déstabiliser mon pianiste un brin), «There Will Never Be Another You» et enfin «Summertime», interprété en imitant la voix rauque de Louis Armstrong, ce qui est assez fatiguant pour la gorge. Les convives avaient bien ri, bien apprécié et Lelièvre et moi nous étions fait l’accolade, avec une affection et un respect l’un pour l’autre dont je sais la sincérité.

En 2002, nous devions nous retrouver sur scène à une émission du Cabaret des refrains animée par Monique Giroux, soirée qui faisait office de lancement officiel au Festival international de la littérature ce printemps-là. Au programme, que des chansons interprétées par un aréopage d’écrivaines et écrivains membres de l’UNEQ, accompagnés par le trio du pianiste Philippe Noireault. Lelièvre n’était hélas pas au rendez-vous; le 30 avril de cette année-là, quelques jours avant le spectacle, il s’était éteint l’âge de 59 ans à l’Hôtel-Dieu de Lévis, des suites d’une embolie cérébrale gazeuse sévère qu’il avait eue à bord d’un avion l’avant-veille.

Ce soir-là, Guillaume Vigneault avait chanté en son honneur «Marie-Hélène» et, en guise de clin-d’oeil à son père Gilles, très proche du défunt, «Voir un ami pleurer de Brel». Et Monique avait lu, accompagnée du piano solennel de Philippe, le très beau texte de la chanson «Toi, l’ami».

J’y repense, et l’émotion m’étreint. Du coup, j’ai envie de revoir et de réentendre Sylvain Lelièvre, qui est peut-être mort mais qui reste présent par son oeuvre poétique, romanesque et, surtout, chantée. Art mineur? Mon oeil!

April 30th, 2010
Catégorie: Auditions, Commentaires, Nouvelles Catégorie: Aucune

14 commentaires à propos de “In memoriam Sylvain Lelièvre: Toi, l’ami”

  1. Danielle Bourdages a écrit:

    Ma préférée entre toutes : Chanson du bord de l’eau, viens de la retrouver en lige, vais la partager…

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  2. Jean Lalonde a écrit:

    À ajouter à la liste des chefs-d’oeuvre de Lelièvre: «Chanson du bord de l’eau».

    Merci, Stanley, pour ces bons souvenirs. Mais pourquoi aujourd’hui?

  3. Claude Lord a écrit:

    Pour l’avoir connu personnellement, c’était et ce sera un très grand homme qui avait un charisme hors du commun en plus de son talent musical!

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  4. Danielle Bourdages a écrit:

    Magnifique chanson… Le beau Sylvain…

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  5. Marie-Claude Ducas a écrit:

    Ah mon Dieu, c’était aujourd’hui… Je portais une affection particulière à Sylvain Lelièvre, et j’ai vécu sa mort presque comme un deuil personnel. Même si je ne le connaissais pas personnellement. Il est irremplaçable. Il aura toujours été, quant à moi, sous-estimé.

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  6. Stefan Psenak a écrit:

    Je m’en souviens comme si c’était hier, Stan. Quel parolier! Sans nul doute l’un de nos plus grands.

    Et je me souviens de 1997. Nous étions côte à côte au Salon du livre de l’Outaouais, lui chez Québec Amérique, moi chez au Nordir. Nous pouvions encore fumer dans le Palais, à l’époque. Sylvain venait de lancer Le Troisième orchestre et moi Le fantasme d’immortalité. Et nous découvrions sans surprise un romancier de talent.

    J’écoute encore souvent ses chansons. Et ses deux disques jazz.

    « Lettre de Toronto », me rappelle les amitiés que la distance n’atténue jamais tout à fait.

    Tiens, je te la fais : « Salut Stanley / Comment ça va, vieux frère? / Tu m’excuseras si j’ai pas trouvé le temps / d’t’écrire avant, mais y s’passe trop d’affaires / Pis Toronto c’est pas la rue St-Jean »

    Merci de célébrer la mémoire de ce chanteur indigène.

    Stefan

  7. Louise Desjardins a écrit:

    Quel ami incroyable il était. Il me semble qu’il vit encore. Les poètes ne meurent pas, ils dorment.

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  8. Carole Doré a écrit:

    …et comme on a aimé rêver avec toi Sylvain…ce sont des rêves récurrents…Salut l’ami!

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  9. Thüryn Von Pranke a écrit:

    Cétait un très bon ami à mon père, nous allions souvent à sa maison quand j’était gamin.

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  10. François Jobin a écrit:

    J’ai réalisé un clip avec lui au début des années 80. C”était une sorte de Nougaro québécois qui fusionnait avec bonheur le caractère particulier de notre langue avec les sonorités du jazz nord-américain. Une singularité dansle paysage.

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  11. Jean-Lemieux a écrit:

    Je partage sa ruelle «natale» à Limoilou. Il ne se passe pas de semaines sans que j’ai une pensée pour tout ou que je fredonne un de ses airs. Parti si jeune! Tant de chansons perdues…

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  12. Christophe Rodriguez a écrit:

    superbe texte je me souviens aussi d’une émision en studio où nous avions discuté de Tommy Dorsey et… Nat King Cole.

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  13. Myreille Bédard a écrit:

    J’ai eu le grand plaisir de rencontrer ce magnifique être humain et artiste unique, alors que je partageais la vie d’un auteur-compositeur que Sylvain avait reconnu. Et je me souviens d’un homme d’une sensibilité, d’une humilité et d’une humanité rare. Sa voix me manque également, mais heureusement qu’il y a les enregistrements…

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  14. Manon Julien a écrit:

    Sylvain Lelièvre, un excellent chanteur, oui, il me manque beaucoup, ses belles chansons.

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