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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Pour l’honneur et la gloire, à peu près

Je reviens de la projection en avant-première médiatique du nouveau Star Trek, à propos duquel je vous livrerai mes impressions à un autre tantôt. Pour le moment, j’aimerais plutôt revenir sur cette demande reçue via courriel ce matin et à laquelle j’ai répondu par la négative, pour une question de principe. Carroll Coates, professeur de traduction littéraire à la Binghampton University, auquel je dois d’ailleurs la traduction en langue de Shakespeare de deux de mes textes, m’écrivait pour m’informer que l’une de ses étudiantes avait travaillé ce semestre sur une version anglaise de la nouvelle éponyme de mon recueil La plage des songes. M. Coates, que je n’ai pas vu depuis une éternité mais dont j’ai gardé un très bon souvenir, voulait me demander la permission de soumettre cette nouvelle à la revue Callaloo, la principale revue universitaire consacrée à la littérature de la diaspora africaine, publiée à la Texas A&M University sous la direction de l’éminent professeur Charles H. Rowell. Et j’ai dû lui opposer un refus catégorique. Pour une question de principe.

En 1991, Callaloo a fait paraître deux numéros consacrés à la littérature haïtienne, dans l’un desquels apparaissait un chapitre de mon roman Le Tumulte de mon sang (The Turmoil in my Blood) traduit par Caroll Coates, avec la permission de Québec Amérique, mon éditeur de l’époque. Que Callaloo, comme la plupart des publications universitaires, ne verse pas de cachet aux collaborateurs ne me posait pas problème; la rédaction offrait cependant à chaque auteur deux exemplaires de courtoisie du numéro auquel il avait participé. Va pour cette entente, assez standard. Le hic, c’est que plusieurs années après, au hasard de mon flânage dans une librairie new-yorkaise, je tombe sur Ancestral House. The Black Short Story in the Americas and Europe, une anthologie de nouvelles écrites par des auteurs de la diaspora africaine à laquelle je me trouvais à avoir collaboré… à mon insu!

En effet, l’anthologiste Charles H. Rowell avait assemblé un bel aréopage d’écrivaines et écrivains noirs, dont le Prix Nobel de littérature Tony Morrison, Amiri Baraka, la star du roman noir nègre contemporain Walter Mosley et quelques autres moins prestigieux… dont moi. J’y étais représenté par «The Devil’s Maw», la traduction anglaise de ma nouvelle «La bouche d’ombre» (in La plage des songes) que Carroll Coates avait également soumise à Rowell pour le numéro de Callaloo… et que ce monsieur s’était senti autorisé à inclure dans son bouquin sans me consulter, sans m’offrir la moindre rémunération pour l’utilisation de mon texte… sans même m’offrir ne serait-ce qu’un exemplaire de courtoisie de ladite anthologie! J’ai écrit à Rowell et à son éditeur américain, Westview Press, pour leur faire part de mon étonnement et de mon mécontentement à l’égard de leur désinvolture, leur négation du principe de propriété intellectuelle. Vous savez quoi? Ma lettre n’a jamais obtenu de réponse, ce qui illustre assez bien mon point. Et c’est donc pourquoi, ainsi que je l’expliquais à Carroll Coates qui n’avait jamais été informé des pratiques de son collègue, peu importe la qualité de la traduction de cette étudiante, je ne laisserai plus jamais un de mes textes en pâture à Charles H. Rowell, ni pour l’honneur, ni pour la gloire de figurer dans l’une de ses prestigieuses publications.

Y’a toujours ben un boutte…!

May 6th, 2009
Catégorie: Commentaires, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

2 commentaires à propos de “Pour l’honneur et la gloire, à peu près”

  1. Sarah-Émilie a écrit:

    Je ne sais pas mais, outre tout ça, dans mon livre à moi, y a un océan entre l’Afrique et Haïti non?

    Ce serait comme faire une anthologie québécoise avec tous les auteurs blancs d’Europe, en ne se basant que sur la couleur de la peau…

  2. Stanley Péan a écrit:

    En fait, Sarah-Émilie, l’analogie similaire serait au contraire de concevoir une anthologie de littérature française et d’y inclure des Québécois, des Belges, des Suisses et même des Antillais, tiens. Ça se fait, d’ailleurs. L’idée ici, c’est de postuler une «communauté» d’esprit qui repose sur l’usage d’une même langue.

    Dans le cas d’Ancestral House. The Black Short Story in the Americas and Europe, la communauté tient aux origines communes (d’où le titre) et à les expériences reçues en héritage partagé (l’arrachement à l’Afrique, l’esclavage, l’ostracisation en tant que membre d’une minorité visible dans des sociétés blanches). C’est un critère de sélection des textes qui en vaut bien un autre, cela dit; et comme vous l’aurez compris, mon intention ici n’était pas de critiquer ce critère, autant que l’anthologiste et son comportement à l’égard du droit d’auteur.

    Stanley Péan

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