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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Péan au Népal, Jour 8 – Les enfants et Mère Courage

« Tu vois? Ma douleur tombe avec mes larmes, mais les larmes sont muettes et les pensées restent confinées dans mon esprit. Amour, même mes larmes n’arrivent pas à parler.»

Les Népalais doivent à Laxmi Prasad Devkota [12 novembre 1909 – 14 septembre 1959], unanimement reconnu comme LE Grand Poète d’expression népalaise, une oeuvre lyrique et emblématique de leur patrie: Muna Madan (1930), une oeuvre épique dont les vers ont inspiré (et continuent d’inspirer) bien des chansons populaires et même un long métrage de fiction. (À titre d’exemple, ce classique de Narayan Gopal inspiré de Laxmi Prasad Devkota)

À ce que j’ai lu, il y est question d’un homme qui quitte sa vieille mère et son épouse adorée pour aller chercher du travail, loin de son village, à l’étranger. Sur le chemin du retour, souffrant, il se voit abandonné en pleine forêt par ses compagnons de route qui, arrivés à destination, annoncent qu’il a péri, funeste nouvelle qui plonge sa femme dans le désespoi. Cependant, un inconnu s’est porté au secours de Madan, un inconnu d’une caste inférieure qui lui sauvera la vie. D’abord réticent à boire l’eau que lui offre cet intouchable, Madan finira par s’incliner devant son bon samaritain et à lui toucher les pieds, en signe de respect.

« मनिस ठुलो दिले हुन्छ, जातले हुँदैन । La grandeur d’un homme tient à son coeur et non à sa caste, » de conclure l’auteur, avec cette phrase qui est devenue l’une des plus souvent citées à propos de l’infâme système ancestral des castes.

Je n’ai as vu les marques de la persistance de ce système ségrégationniste et les Népalaises et Népalaises que j’ai interrogé sur la question m’assurent que cette pratique n’a plus tellement cours dans le Népal contemporain. En tous cas, pas dans leurs cercles à elles et eux. À Gothikel avant de partir, nous assistons encore à la livraison du lait par les fermières et fermiers des environs. Le centre de collection et réfrigération de Gothikel est équipé d’appareils plus modernes pour les tests de qualité. J’ignore si c’est comme ça tous les jours, mais ce matin le coeur du village fourmille de monde. Mais, j’y pense, sans doute notre présence y est pour quelque chose. Tandis que Benoît et Kiran s’affairent à croquer sur le vif les opérations quotidiennes, je rigole encore une fois avec une grappe de gamines et de gamins, aux phénotypes variés, qui jouent à ne pas vouloir se faire photographier. Leur professeur, qui est également propriétaire d’une des fermes laitières des environs, m’accoste et nous discutons un moment de la situation dans sa modeste école de campagne.

Gothikel 1     Gothikel 2     Gothikel 3

Gothikel 4     Gothikel 6     Gothikel 7

En chemin vers Sankhu, le patelin de Krishna Lama, notre guide pour cette expédition (situé à une demi-heure de route, il va sans dire), nous faisons escale à une autre station de collecte et de réfrigération du lait, le temps que nous rejoigne une autre voiture en provenance de Katmandou, avec à son bord Dilip, LaurineKeshava Koirala du bureau népalais du CECI et la charmante Sharna Dey, une jeune coopérante montréalaise d’origine bengladi, rapatriée d’urgence au Népal pour des raisons de sécurité et désormais affectée à l’Union coopérative des producteurs laitiers du district de Lalitpur (LDMPCU), à Chapagaun, jusqu’à la fin de son stage en Extrême-Orient.

Au bout d’un moment, nous avons atteint un petit village dont le magasin général est tenu par une mère de famille trentenaire, une autre de ces Mères Courage qui sont apparemment légion au pied de l’Himalaya. Après l’écroulement au printemps dernier de la maison à deux étages qui abritait son commerce au rez-de-chaussée et son logis à l’étage, elle a déménagé ses pénates dans ce bâtiment de fortune aux cloisons en tôle rouillée, mal éclairé, dans lequel s’entassent les quartiers de ses enfants, de ses beaux-parents et ceux de son homme et elle, ainsi que sa boutique qu’elle a pu réapprovisionner grâce au soutien du CECI. Elle y vend de tout, des souliers sport jusqu’au brandy local, en passant par des articles de toilette, des petits appareils électroniques et de la nourriture. Comme le veut la coutume, elle nous sert le thé en nous racontant dans le détail ses journées qui n’en finissent plus, entre le trait du bétail, les heures à tenir la caisse à la boutique et la supervision de l’éducation des enfants. En l’absence de son mari qu’elle a épousé à l’adolescence, souvent parti travailler en-dehors de la région, elle doit voir à tous les aspects de la vie du foyer.

— Et quand tout s’est littéralement l’année dernière, vous est-il arrivé de vous demander à quoi bon? De vous sentir découragée au point de vouloir tout abandonner?

Ma question la fait presque sourciller. Le découragement, l’abandon n’est pas une option pour elle. Chez elle aussi, ce désir de donner aux enfants l’accès à une vie meilleure que celle qu’elle a connue est un formidable moteur, un incomparable antidépresseur.

March 3rd, 2016
Catégorie: Commentaires, Lectures, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

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