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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Jour 8: Le temps des adieux

Petit temps pluvieux pour mes adieux à Coutances; il faut dire que la Normandie a été assez à la hauteur de sa réputation maussade durant ce bref passage, sur le plan météorologique, on s’entend. Sur le musical comme sur celui des relations humaines, c’était un séjour des plus chaleureux et j’en rentrerai enthousiasmé.

J’ai quitté le Cositel en fin de matinée. Une fois réglé les détails de logistique transport avec le secrétariat du festival, j’ai traîné sur le site dans l’attente du concert du saxophoniste Archie Shepp en duo avec le pianiste Joachim Kühn, présenté à 15h30. Devant le petit comptoir-bouffe où je me suis acheté une sorte de burger au canard haché et un petit verre de rouge, je discute avec un couple de Normands jazzophiles (surtout le mari) de la programmation du festival, de l’offre et de la demande en jazz ces jours-ci en France, de nos meilleurs souvenirs de mélomanes. L’homme est volubile, autant que moi, et notre échange des plus enjoués. Sa femme et lui ont entendu parler (en bien!) de la «battle» d’improvisation que je co-animais jeudi, s’informent de ce qu’il en est du jazz au Canada, etc. Nous ne sommes que brièvement interrompus par un Haïtien qui a vécu à Cayenne, et qui s’immisce dans notre conversation pour nous faire un long et pittoresque exposé sur la vie sociale, le climat politique dans ce territoire outre-mer. Et bientôt, c’est l’heure de prendre le chemin de la salle Marcel Hélie.

Depuis le début de la semaine, je trouve que le lieu en béton armé gris n’inspire guère; heureusement que la musique que j’y ai entendue cette semaine n’avait rien à voir avec l’aspect désolant de ce l’immeuble. D’ailleurs, on me confirme que cet amphithéâtre de 1500 places environ est, ainsi que je le soupçonnais, une sorte d’ancienne salle sportive multifonction convertie en salle de concert. Il faut attendre un peu plus que prévu pour voir et entendre le légendaire saxophoniste, mais l’attente somme toute vaut le coup. D’une élégance admirable, avec son traditionnel feutre sur la tête, le musicien qui aura bientôt 75 ans prend place sur un tabouret au micro, flanqué de ses deux binious (un ténor et un soprano), tandis que son collègue allemand s’installe au tabouret en face du clavier. C’est parti: pendant une heure et demie, ils ponctueront des airs connus et envoûtants de leurs improvisations débridées, dans le plus pur esprit libertaire de la new thing que Shepp avait contribué à imposée dans les années 60. Et même si je n’étais pas toujours convaincu de la pertinence des interventions virtuoses de Kühn, je me laisse volontiers émouvoir par la justesse et la profondeur du chant de Shepp au saxophone. Même ses petites présentations dans un français à peine cassé m’ont touché, en ce qu’elles laissaient percer de la sagesse et du vécu du bonhomme. Et qu’ajouter sur cette version si déchirante du «Lonely Woman» de Ornette Coleman? Pur bonheur, vous dirai-je.

Hélas, toute bonne chose a une fin et voilà déjà le moment de récupérer mes bagages et de filer vers la gare ferroviaire. J’ai pourtant le regret de ne pas entendre le concert de Marcus Miller, le soir même. Arrivée gare Saint-Lazarre vers 21h20. Et au terme d’une soirée bien arrosée au Fumoir en compagnie de Nancy, de Seb et d’Alex, me revoilà à Charles de Gaulle, en train de récapituler les dernières heures de cette escapade française. Je reviens à Montréal, comme chante Ariane Moffatt; Montréal, au climat que j’imagine envenimé au maximum par la lâcheté politique et l’intransigeance opportuniste des autorités.

Ah, mais comme j’aimerais éventuellement retourner à Coutances, pour le jazz sous les pommiers…

May 20th, 2012
Catégorie: Commentaires, Événements, Réflexions Catégorie: Aucune

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