stanleypean.com


Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Jour 12: Prendre le pouls de Cracovie

Une bonne partie de la journée d’aujourd’hui a été consacrée à la découverte de Cracovie, ancienne capitale et deuxième plus grande ville de Pologne, à laquelle Jacques Kuba Séguin voue une affection toute particulière. Bien sûr, nous avions quelques rendez-vous fort instructifs, liés à notre mission culturelle: avec Barbara Orzechowska et Robert Piaskowski, respectivement directrice et co-directeur du département de la programmation au Bureau des festivals de Cracovie; avec le jeune Tomasz Dziedzic, directeur artistique du club PiecArt; ainsi qu’avec Grzegorz Motyka et Piotr Domagala de l’École de jazz et de musique contemporaine que fréquente d’ailleurs Michal, notre chauffeur désigné à Varsovie, qui y apprend la guitare. Mais je garde une image forte du visage rayonnant de Kuba sur la Place du marché de Cracovie, alors qu’il propose que nous goûtions une saucisse grillée même si nous sommes en chemin vers le resto où nous déjeûnerons. Il y a quelque chose de magique qui opère sur lui, quelque chose qu’on pourrait rapprocher ces charcuteries à jamais associées à son enfance… aux madeleines de Proust!

Au club PiecArt, j’ai été surpris par l’air juvénile de notre hôte, Tomasz Dziedzic, directeur artistique depuis un an et demie de ce caveau qui s’est imposée comme la scène du jazz émergent à Cracovie : lui-même guitariste d’un trio de rock progressif, Oversaturate, Dziedzic me semble âgé d’à peine vingt-cinq ans!

— Au PiecArt, nous accueillons les groupes qui ne jouent pas dans les autres clubs de Varsovie, la plupart du temps parce qu’ils ne sont pas connus, nous a-t-il expliqué. Notre scène est ouverte à tous les styles de jazz : du plus traditionnel au plus free, en passant par les standards, le bebop, le jazz fusion, tant que les musiciens font preuve de talent, d’originalité.

Le jeune homme me semblait un brin timide, comme s’il doutait de sa légitimité comme porte-parole du bar, qui ne lui appartient pas. Hésitant, il nous a cependant parlé avec un mélange de franchise et de candeur de la conjoncture économique difficile pour des établissements comme le PiecArt, qui privilégie la musique de création plutôt que des genres plus populaires et lucratifs. Cette situation n’est en rien exclusive à la Pologne, il en conviendra. Pour lui, les difficultés du jazz polonais contemporain à trouver un public plus large que le bassin restreint des initiés est directement lié au peu d’intérêt que portent les médias de masse à cette musique et ses artisans. « Les radios privées d’ici ne passent presque jamais de jazz, et surtout pas de jazz polonais; nos ondes sont submergées par le pop américain. » Heureusement, grâce au soutien de quelques radios étudiants et, surtout, à une présence très affirmée dans les réseaux sociaux, le PiecArt a su assurer un public fidèle aux nombreux groupes qui défile sur sa petite scène. « Notre programmation est bouclée au moins deux mois à l’avance. » Cela en dit long sur la profusion de jazzmen qui désirent laisser leur marque dans le paysage musical de la Pologne contemporaine.

Au sujet de la couverture médiatique déficiente du jazz polonais, de son absence de la programmation des radios privées, les membres de la direction de l’École de jazz et de musique contemporaine que nous avons rencontré en fin de journée nous ont fait entendre sensiblement le même son de cloche. L’un des tout premiers diplômés de cet établissement privé qui met l’accent sur l’enseignement d’un jazz plus rock, Piotr Domagala, y enseigne la guitare et ne tarit pas d’éloges sur ses élèves, qu’il estime de haut calibre.

— Les jeunes musiciens polonais, qu’ils soient diplômés ou non de notre école, sont très talentueux. Mais ils ne trouvent pas nécessairement d’occasion de faire valoir ce talent, de se faire connaître.

Domagala vient tout juste de faire paraître son deuxième album, Pnącza (Kaan / Jazz forum); comme beaucoup d’autres, il déplore que le jazz polonais soit trop souvent négligé dans son propre pays, alors que la scène musicale nationale lui paraît particulièrement effervescente et dynamique.

Son ancien professeur, Grzegorz Motyka, fondateur et directeur artistique de l’école, estime pour sa part qu’une plus grande mobilisation du milieu s’impose :

— J’ignore comment ça se passe chez vous, mais il me semble que les artistes de jazz polonais auraient intérêt à unir leurs forces pour exiger une meilleure représentation dans la programmation de nos grands festivals. L’ennui, c’est que le public, habitué depuis toujours à n’aller y entendre que les vedettes américaines, insiste pour qu’on ne lui présente que ces dernières.

À peine avions-nous quitté le bureau de Motyka qu’il fallait vite retourner au coeur de Cracovie, Jacques pour aller y répéter les pièces qu’il devait interpréter au Harris Piano Jazz Bar, cette fois au sein du groupe du pianiste Pawel Kaczmarczyk et moi pour y rencontrer le guide chargé de ma trop courte visite de la ville au crépuscule.

March 29th, 2013
Catégorie: Commentaires, Événements, Réflexions Catégorie: Aucune

2 commentaires à propos de “Jour 12: Prendre le pouls de Cracovie”

  1. Aline a écrit:

    Comme les hirondelles, te voici de retour en Europe avec le printemps!
    Eric et moi te souhaitons un très heureux anniversaire!
    En rentrant de mon “séminaire professionnel” aux sports d’hiver (!), qui a eu lieu du 18 au 23, j’ai vu avec plaisir que tu avais repris ton blogue, comme à chaque voyage. Quel travail difficile tu as 😉
    Ce midi, nous boirons à ta santé à Santeny! Tchüss!

  2. Aline a écrit:

    A la carte de l’œnologue de Santeny: Château-Plaisance (Fronton); Le Grain de Folie (Fronton); Château Maucaillou (Moulis); Château Picque Caillou (Pessac-Léognan). A ta santé! Joyeux anniversaire de notre part à tous! 😉

≡ Soumettez votre commentaire