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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Haïti 2015 (bis) – Tasso de dinde, bière Prestige et réminiscences de Graham Greene, svp…

Oloffson

Haïti compte peu d’hôtels aussi célèbres que l’Oloffson, où nous déjeunons entre la visite de Martissant et celle du Centre d’art, où Pascale Monnin nous attend tout à l’heure. Attablés sous les puissants ventilateurs de la véranda de l’établissement qui a inspiré le fameux Trianon des Comédiens de Graham Greene, nous sirotons une bière ou un jus, en attendant notre repas. Curieuse, Michelle Corbeil aimerait bien en savoir plus sur ce lieu mythique qu’on appelait autrefois le « Greenwich Village des Tropiques ». Lorraine Mangonès et moi y allons de quelques anecdotes sur cette majestueuse maison gingerbread, construite par la famille de Tirésias Simon Sam (président de la République d’Haïti de 1896 à 1902), réquisitionnée et convertie en hôpital militaire durant l’occupation américaine (entre 1915 et 1934) puis en hôtel par Werner Gustav Oloffson, un capitaine de la marine allemande d’origine suédoise, qui en fit l’acquisition au milieu des années 1930.

Au fil des décennies, l’hôtel a acquis une réputation de havre fréquenté par des célébrités; outre Graham Greene qui l’immortalisa en fiction, l’écrivain James Jones, le caricaturiste Charles Adams sont au nombre de ses clients fidèles. Racheté en 1960 par le New-yorkais Al Seitz, l’hôtel continua même sous le régime de Baby Doc à accueillir une prestigieuse clientèle, de Mick Jagger à… Jackie Onassis. Il y a de quoi esquisser un sourire ironique quand on songe que, selon une légende urbaine évoquée par Lorraine Mangonès, c’est dans l’une des chambres de l’Oloffson que deux agents de la CIA auraient ourdi le complot pour assassiner John F. Kennedy! En tout cas, de nombreuses chambres portent encore le nom de leurs plus fameux occupants.

Dépêchée en Haïti par La Presse au lendemain du séisme de 2010, Michèle Ouimet nous raconte que l’Oloffson avait tout naturellement retrouvé son statut le lieu de convergence naturel pour les journalistes étrangers en quête de guide et d’interprètes. À ce qu’on a entendu dire à l’époque, la cour de l’hôtel s’était remplie de tentes de fortune qui étaient cependant à louer comme des chambres, ce qui me semble un peu disgracieux.

Je ne saurais dire si Kurt Vonnegut Jr avait séjourné à l’hôtel ou même en Haïti, mais je me rappelle qu’il évoque l’Oloffson dans son roman Deadeye Dick (1982), dans lequel son héros fuit vers mon île natale pour échapper à la culpabilité qui le tourmente à la suite d’un homicide involontaire… et cherche la rédemption. C’est dans ces années-là, d’ailleurs, que Richard A. Morse, l’actuel propriétaire de l’hôtel, en prit possession et instaura la tradition de ses jeudis de mizik rasin, qui suscitèrent pas mal de controverses du temps de la junte dirigée par Raoul Cédras et qui sont restés un incontournable de la scène culturelle locale. Y passerons-nous ce jeudi? La tentation est grande dans notre délégation.

July 16th, 2015
Catégorie: Événements, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

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