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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Haïti 2015 (bis) – Écrire

« Is that a poem ? » demande à David l’Américano-Haïtienne assise à ses côtés dans le bus Cap-Haïtien et Port-au-Prince, une jeune femme revenue au pays avec ses parents qui magasinaient une maison pour leur retraite.

« No, it’s a pop song, » rétorque-t-il avant d’ajouter quelque vers à ce texte que lui et moi sommes en train d’écrire sur la tablette que nous nous échangeons depuis quelques moments.

Mais que diable raconte mon ami? Notre work in progress ne sera rien de moins qu’un standard de jazz, David. Nuance. 😉

« You guys are in the music business? »

« Not really. But we write all sorts of stuff. »

Avant de partir pour Haïti, nous avions promis à l’Amiral Anthony Rozankovic d’écrire les paroles de cette chanson inspirée d’un film qui l’avait marqué (My Week with Marylin), chanson destinée à Stéphanie Laliberté que l’Amiral et moi encourageons à retourner en studio pour donner suite à son premier album, album éponyme paru il y a tout de même sept ans. Nous avons jonglé avec le thème depuis une dizaine de jours, mais n’en avions pas encore attaqué la rédaction à proprement parler, ayant trop souvent terminé nos soirées crevés et peu enclins au travail. « Chalè a te kraze m nèt, » pour reprendre l’expression de mon oncle Charlie. À un point tel qu’après l’apéro avec mes cousins Tony et Milo Emma, dans la cour de leur maison familiale devenue le siège de la Société capoise d’Histoire et de protection du patrimoine sur le conseil d’admistration de laquelle ils siègent tous deux, Laura, David et moi étions rentrés au Beau Rivage, fatigués. Accablé par la chaleur, j’avais dû décliner l’invitation de Pascale et d’Henri Péan, les enfants de Marc, qui auraient aimé me voir en personne à la maison de la rue 21. Ces autres cousins et moi avions dû nous contenter d’un échange chaleureux au téléphone, avec la promesse d’une rencontre en chair et en os au prochain voyage.

À dix heures le lendemain, à défaut de retrouver le bout de papier sur lequel j’avais noté le numéro de Sauveur, le chauffeur qui nous avait cueillis à l’arrivée, nous avons pris une voiture commandée par l’hôtel pour repartir vers la gare d’autobus. Vu qu’elle était en congé ce matin, Laura et moi n’avons pas pu dire au revoir en personne à la cousine Amanda, mais je lui ai laissé un petit mot à la réception. Épuisé, je n’ai pas tardé à m’endormir sur mon siège, ce qui avait épargné au passager souffrant de vertige que je suis le bout de route en épingle à cheveux dans les montagnes qui séparent le Cap des Gonaïves. Éveillé à quelques kilomètres du berceau historique de l’Indépendance haïtienne, j’avais sorti la tablette de mon sac et esquissé la structure de cette première collaboration entre David et moi depuis des lustres. Ce voyage a fait des merveilles pour notre complicité; au bout de quelques minutes, nous avons en mains une première mouture plus que décente du texte de « Shattered Hearts », à expédier à Rozankovic sitôt débarqués chez Bertrand Roy à Pétionville.

« Vous avez fini? » de s’étonner ma fille. « Mais il me semble que vous avez commencé il y a dix minutes seulement… »

J’ai envie de paraphraser Picasso, et de lui dire que ces dix dernières minutes (trente, en fait, elle n’était pas attentive, plongée dans sa lecture des Comédiens de Greene) s’ajoutent à toutes ces années de pratique de notre métier. La réponse de David est plus pragmatique et humble à la fois.

« We’re writers, Laura. This is actually what we do. »

July 23rd, 2015
Catégorie: Événements, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

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