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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Haïti 2015 (bis) – Dans la fraîcheur de Kenscoff, tout là-haut

Le Festival a pris fin, mais pas le séjour au pays natal. Après un petit déjeûner près de la plage (spaghetti au hareng), nous nous entassons dans le pick-up de Jean-Euphèle. Et une fois que celui-ci aura pris possession à Mont-Carmel du piano électrique d’occasion qu’il convoitait, nous reprenons la route tortueuse qui monte bien haut dans les montagnes et redescend vers la capitale. Assis près du chauffeur, j’ai branché mon vieux téléphone d’autrefois, le Galaxy S2 dans lequel j’ai mis une carte SIM Natcom, sur le système de son de la voiture et joue les disc-jockeys. À JEM, qui ignorait que j’écrivais à l’occasion des chansons, je fais entendre quelques-unes de celles que j’ai signées pour Sonia Johnson, et les démos de quelques autres cosignées par David et moi en anglais. Puis, il faut croire que la programmation musicale pour la radio me manque, j’alterne entre Miles, Prince, Sam Cooke (présence de Homel oblige), Murat, Brel, Ferré.

Jean-Euphèle nous dépose comme convenu au Karibé, où j’avais laissé ma grosse valise et où David, Laura et moi avons rendez-vous avec Casson qui nous ramènera chez Bertrand. Une escale au supermarché s’impose, pour acheter du vin pour la soirée chez ma cousine Claude et de quoi préparer des sandwiches que nous mangerons pendant le long trajet vers Cap Haïtien. Pour bien faire, nous devrions aussi descendre à Tabarre près de l’aéroport et acheter nos billets à l’agence Sans Souci que je n’arrive pas à joindre au téléphone. Un peu fatigués pas tous nos voyagements automobiles, David et moi estimons que ce n’est pas nécessaire, que nous pourrons payer nos places demain matin avant de monter à bord du car. (Erreur que nous regretterons bientôt, mais n’anticipons pas sur la suite du récit.)

Il faut mettre un peu plus d’une demi-heure pour monter jusque chez ma cousine, avec cette fois Bertrand au volant. Le docteur Claude Péan habite une imposante maison juchée tout là-haut, dans la fraîcheur de Kenscoff, qu’elle et son conjoint retraitée de la diplomatie barbadienne ont achetée il y a deux ans. Autour de la table dressée dans le solarium, nous buvons et nous mangeons en échangeant des anecdotes amusantes sur ce qui nous unit. Bertrand raconte avec humour la cour qu’il fit autrefois à Claude, à qui il offrit un ancien banc d’église reconditionné et rebaptisé « banc des soupirs ». Il résume enfin en une formule finement tournée la raison pour laquelle ça n’avait jamais pris entre eux deux :

« Tu m’aimais bien, je crois. Mais moi, j’étais amoureux… »

La nuance, importante, fait sourire tout le monde.

À mon tour, je raconte la vieille histoire de ma rencontre avec feu mon ami Gil Courtemanche, que Claude avait fréquenté autrefois. Au buffet du Festival littéraire Blue Metropolis, en l’an 2000, il m’avait abordé en me lançant :

« Ah, monsieur Péan, nous partageons une même passion. Pour le jazz. »

Ne l’ayant jamais rencontré en chair et en os, je ne l’avais pas reconnu et avais eu l’outrecuidance de lui demander candidement qui il était, ce dont il avait un peu pris ombrage. « Ça va, je ne suis personne, » avait-il laissé tomber sur le ton de celui qui estimait néanmoins que j’aurais dû savoir. Devant mon insistance, il avait tout de même fini par me dire son nom.

« Ah bon! m’étais-je exclamé. Alors, nous partageons deux passions, puisque nous avons aimé la même femme! »

C’est alors que je lui avais révélé que j’étais le cousin de Claude, dont j’étais littéralement tombé amoureux lors de ma première visite en Haïti… à l’âge de neuf ans! Et c’est dans ces circonstances qu’avait débuté notre amitié, à Gil et moi.

Je la trouve encore magnifique, ma cousine, cette femme aussi élégante que drôle, qui a préparé pour nous un festin de cabrit en sauce, de poulet aux acajous et djon-djon et de lambi. Nous nous délectons, en poursuivant notre discussion animée et joyeuse, tout de même un brin assombrie par l’inquiétude persistante d’une amie de Claude dont la cuisinière a fait un infarctus il y a quelques jours. Belle illustration de la persistante inégalité des classes qui afflige ce pays, déplorent Claude et son ami, les médecins consultés avaient renvoyé la brave dame chez elle parce qu’elle ne portait pas un de ces noms qui aurait signalé son appartenance à la classe privilégiée. Heureusement, avant la fin du repas, nous apprendrons que la cuisinière avait été admise dans un autre hôpital et placée sous observation.

Nous passons en sommes une excellente soirée, tous les convives en conviennent et David ponctue chaque affirmation à cet effet par une sorte de mantra : « Et ce n’est pas encore terminé! » La fin arrive néanmoins et, en nous faisant faire le tour du propriétaire, ma cousine me fait promettre de descendre chez elle avec Laura et (qui sait?) Philippe à mon prochain retour au pays.

July 20th, 2015
Catégorie: Événements, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

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