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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Haïti 2015 (bis) – Au jardin extravagant de la mémoire

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Martissant

À la suggestion de Lorraine Mangonès de la Fondation connaissance et liberté (Fokal), mes collègues et moi visitons le Parc de Martissant, niché dans une zone de Port-au-Prince qu’on a longtemps estimée peu recommandable, en raison de violents affrontements entre gangs de rue qui y sévissaient. Casson, le chauffeur de Bertrand, me confie qu’il y avait habité autrefois, qu’il avait justement quitté le quartier une dizaine d’années auparavant à cause de la criminalité, qu’il y revenait très rarement. Voilà qui explique pourquoi il n’est pas certain de l’emplacement de notre destination, que nous trouvons néanmoins sans trop de mal.

Ouvert un an après le séisme meurtrier de janvier 2010, cet îlot de verdure luxuriante a été conçu comme un lieu de mémoire, de recueillement et de paix. À la construction du parc qui s’étend sur dix-sept hectares, s’ajoutent le travail communautaire continu auprès des gens du coin, sur des questions aussi fondamentales que celles de la gestion des déchets, l’amélioration de la salubrité dans le quartier et la protection de l’environnement. Ah, Martissant! Sous le soleil assommant, il y a là des ouvriers qui s’affairent à l’entretien du jardin, les gardes de sécurité qui veillent sur nous à distance, avec discrétion. Il y a ma fille, fleurs blanches dans les cheveux, qui filme et photographie tout autour d’elle, avec avidité. Il y a quelques étudiants qui révisent leurs leçons à voix haute, en prévision de quelque examen estival. Il y a des amoureux qui se courtisent avec pudeur à l’ombre des arbres en fleurs. Et les lézards qui s’agitent dans le sous-bois. Ne manque qu’un Joe Dassin tropical pour esquisser en une chanson la vie du parc, véritable poumon de ce modeste faubourg particulièrement ébranlé par le tremblement de terre.

Rolando Étienne, l’un des gardes champêtres et animateurs sociaux de Martissant, nous sert de guide; avec un certain lyrisme, il retrace pour nous l’histoire et la symbolique du vaste parc placé sous la responsabilité de la Fokal. Cela est d’autant plus légitime qu’une partie du parc occupe la surface du domaine des parents de Lorraine Mangonès, l’architecte et sculpteur Albert Mangonès et sa femme, dont la maison s’est écroulée lors du goudougoudou. D’ailleurs, notre visite débute près du calebassier au pied duquel se trouve la sépulture du couple. Dans le sillage de Rolando, nous suivons les empreintes de pas gravés dans le béton du sentier par cette revenante imaginée par l’artiste Patrick Vilaire. Ces pas, éclairés la nuit par de mini-projecteurs, nous mènent jusqu’à l’esplanade au pied de laquelle se trouvent les tombeaux de Marie Miraine Joseph Étienne et de son fils Emmanuel, décédés dans la résidence des Mangonès. Des extraits d’œuvres littéraires sont là aussi, sur des panneaux, qui disent la stupeur, la détresse mais surtout l’amour pour cette ville et ses habitants. On lit les mots d’Ida Faubert, de Rodney Saint-Éloi et de l’incontournable et immortel Dany Laferrière. Il y a aussi le flamboyant Anthony Phelps, représenté par quelques vers de son classique Mon pays que voici, auxquels je me permets de prêter ma voix.

« J’aime, mais c’est encore plus beau lorsque c’est lu à voix haute par toi, » d’opiner David Homel, qui ne manque jamais une occasion de ma taquiner.

« C’est vraiment rien. Tu devrais entendre Phelps lire ses vers avec sa voix chaude et grave! »

Et puis, sur les terres de l’ancienne habitation Leclerc, se dresse une œuvre époustouflante de la plasticienne suisse d’origine haïtienne Pascale Monnin : des moulages de visages d’enfants du quartier faits de ciment, de fer et de miroirs cassés, suspendu à un mimi, cet arbre tropical qui ne fleurit qu’en janvier, juste à temps donc pour saluer annuellement la mémoire des disparus.

On s’y éterniserait, mais il faut poursuivre sa route, si nous voulons voir la tonnelle, espace de parole où se tiennent de nombreuses activités de concertation, le jardin de plantes médicinales, et surtout la superbe bibliothèque du Centre culturel Katherine Dunham, baptisé du nom de cette comédienne, chorégraphe, danseuse et anthropologue afro-américaine qui avait embrassé la culture haïtienne. Sans compter que nous avons rendez-vous avec Lorraine Mangonès à l’Oloffson pour le déjeûner.

July 16th, 2015
Catégorie: Événements, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

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