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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Haïti 2014, jour 2: Renouer avec la ville

Je ne suis pas en vacances, même si mon emploi du temps n’exclut pas des moments de détente. Ce matin, histoire de faire le point sur les activités des prochains jours, Katel et moi sommes allés au bureau de la Fondation Culture Création que dirige la sympathique Colette Armenta-Pérodin. Attablés autour d’un café bien noir, Colette, Katel, Mackenzie et Prophète (les deux jeunes leaders de la troupe Cirque Kreyòl que parraine Clowns Sans Frontières) et moi-même révisons l’agenda, confirmons les rendez-vous, établissons les conditions de la mission. Il est notamment convenu que lors de ma visite d’un centre de détention pour délinquants juvéniles, je ferais mon intervention en créole, ce qui constituera un défi intéressant, compte tenu du fait que je ne maîtrise par la langue de Languichatte autant que celle de Molière.

Le hasard a voulu que Colette reçoive par texto une invitation à venir assister à une réunion au Ciné Théâtre Triomphe, visant à présenter l’avancement des travaux de rénovation de ce complexe culturel qui rouvrira ses portes à la mi-décembre, après avoir été laissé à l’abandon depuis trop d’années. Nous l’y suivons. Pas question de rater cette occasion de faire la rencontre de quelques intervenants du milieu culturel port-au-princier en vue des entrevues que j’ai l’intention de réaliser pour mon émission Quand le jazz est là et pour mon autre blogue sur ICIMusique.ca. J’ai le plaisir de croiser avec les frères Mushy et Joël Widmaier, entre autres, figures incontournables de la scène musicale haïtienne. Si hélas Mushy doit repartir pour Miami en fin d’après-midi, Joël qui préside le conseil d’administration du Festival de jazz de Port-au-Prince, accepte volontiers de m’accorder un entretien dans les prochains jours.

Une chose n’a pas changé depuis mes précédentes visites à la fin des années 90 : il est toujours aussi ardu de se déplacer dans la capitale haïtienne. Malgré les investissements soi-disant importants de l’État dans la réfection du réseau routier, le trois quart des rues sont très peu praticables ce qui rend la circulation automobile et piétonnière guère fluide, peu importe l’heure du jour. Ajoutez à cela l’absence de signalisation adéquate et l’on devine à quel point il serait facile de se perdre dans Port-au-Prince. Par bonheur, Wilyo, le chauffeur dont Clowns Sans Frontières a réservé les services pour nos déplacements et ceux de la troupe Cirque créole, connaît la ville comme le fond de sa poche. Ce qui ne nous empêche pas de tourner quelques minutes en rond, à la rechercher du lieu de mon prochain rendez-vous.

Compte tenu sans doute de ces conditions, personne en Haïti ne vous tiendra rigueur d’un léger retard. Mon pote l’écrivain Lyonel Trouillot m’attend sur la terrasse de sa maison, en face du Centre culturel Anne-Marie Morisset, fondé par lui et quelques proches au lendemain du tremblement de terre de 2010. Notre dernière rencontre remonte à l’automne 2008, alors que Lyonel et ses confrères et consœurs du jury du Prix littéraire des cinq continents (dont un J.-M. G. Le Clézio fraîchement nobélisé) séjournaient à Québec pour le Sommet de la francophonie. Nous prenons bien quelques minutes pour remettre nos pendules à l’heure, prendre des nouvelles de connaissances communes, rappeler le souvenir d’amis disparus, échanger sur la situation politique de cette nation en perpétuel naufrage. Trouillot est comme toujours impitoyable pour l’actuel gouvernement; c’est qu’il en a vu passer d’autres, des régimes ubuesques, lui qui a toujours refusé l’exil loin de la patrie…

Notre rendez-vous a pour prétexte l’entrevue que je dois lui accorder pour Radio Kiskeya sur les motifs de mon retour au pays natal, mais ce n’est qu’une formalité dont nous nous acquittons en une demi-heure. Lionel me fait ensuite visiter le Centre qui porte le nom de sa mère, une sorte de cadeau que ses proches et lui ont offert à la communauté de Delmas, à leurs frais, sans le moindre soutien étatique. Tout neuf, tout propre, l’endroit abrite sous un même toit une bibliothèque, un petit ciné-club, un local d’informatique avec accès à internet, des salles de réunions et de conférences. Lyonel y a rapatrié ses fameux vendredis littéraires, qui fêtent cet automne leur vingtième anniversaire, ce dont il n’est pas peu fier et je le comprends. « C’est l’une des rares manifestations en Haïti où des gens de différentes classes sociales se côtoient dans la plus grande convivialité, » s’enorgueillit-il. Je promets d’y passer faire un tour, vendredi prochain, ne serait-ce que par nostalgie de la première fois où j’y avais assisté, en janvier 1998.

Rentrés chez Bertrand au terme de cette journée somme toute moyennement chargée. Katel et moi sirotons l’apéro en procédant à l’activation de nos cellulaires haïtiens. Je cuisinerai tout à l’heure, du ri ak djondjon, des asperges et une bavette, avec du pinard bien entendu. Pas mal, pour le premier jour de mes retrouvailles avec cette ville où j’ai vu le jour mais où je n’ai jamais vécu.

November 15th, 2014
Catégorie: Commentaires, Événements, Lectures, Réflexions Catégorie: Aucune

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