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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Haïti 2014, jour 12: Prendre parole, prendre la rue…

Par respect pour l’étudiant de l’École normale supérieure mutilé par l’explosion d’une grenade lacrymogène qu’il avait eu la mauvaise idée de ramasser lors d’une manifestation l’automne dernier et par respect pour ses condisciples qui un an plus tard réclamaient encore justice et réparation en son nom le lundi 17 novembre passé, j’avais offert de reporter à ce matin ma conférence sur l’apport des écrivaines et écrivains d’origine haïtienne à la littérature québécoise, d’Anthony Phelps et Émile Ollivier à Marie-Célie Agnant, Joël Des Rosiers et Dany Laferrière. À l’heure où les politiciens multiplient sans vergogne les fausses promesses, sans doute ne devrais-je pas m’étonner qu’on ne m’ait pas cru sincère. Quoi qu’il en soit, malgré un regrettable retard d’une demie heure, dû à des ennuis mécaniques avec la voiture et les inévitables bouchons de circulation, je suis là… Mais rien n’indique qu’on m’y attendait et même le Doyen semble n’avoir pas été informé de mon retour en ces murs.

Le temps de clarifier la situation et les voilà, un peu plus d’une centaine, entassés dans l’auditorium de l’école, venus m’écouter leur parler de ces écrivaines et écrivains de la diaspora haïtienne qui se sont intégrés tant bien que mal à une institution littéraire québécoise qui n’a pas toujours voulu d’eux. De nombreuses questions fuseront ensuite de toutes parts, dont plusieurs matière à controverse. Que penser de cet exode massif des cerveaux dont Haïti souffre encore? L’exil a-t-il été une solution de facilité pour ces intellectuels qui rêvaient de faire carrière? À quels lecteurs s’adressent les œuvres de ces écrivaines et écrivains haïtiens du dehors? Le choix du français plutôt que du créole comme langue d’expression littéraire n’équivaut-il pas à une sorte d’abandon du lectorat haïtien principal? Quelle portée, quelle signification aura l’entrée de Dany Laferrière à l’Académie française?

Ces jeunes ne feront de quartier ni aux écrivaines et écrivains évoqués, ni à moi. Respectueux, l’échange est néanmoins agité par moment et j’en suis fort aise. Au final, l’un des étudiants me demande quel conseil je donnerais à celles et ceux d’entre eux qui choisiront de prendre la plume. La question me ravit car elle me donne l’occasion de réaffirmer l’une de mes convictions les plus profondes, à savoir que leur prise de parole et légitime, nécessaire et qu’aucune nation au monde ne peut se passer de ses écrivains. Le pays aura toujours besoin de ses poètes, de ses romanciers, de ses essayistes et de ses dramaturges pour exprimer ce qui le travaille sourdement corps et âme, pour témoigner de ce qu’il est.

Quelques minutes plus tard, quelques coins de rues plus loin, je reprends le crachoir en créole, à l’invitation de James Saint-Félix, qui désiraient que je participe à un échange informel sur l’écriture en général et la dramaturgie en particulier avec quelques-uns de ses condisciples de l’École nationale des Arts (ENARTS). Les consœurs et confrères de Ti-Poète ne sont qu’une trentaine, mais cette discussion qui porte notamment sur le théâtre et sa fonction, sur les moyens à la disposition du dramaturge, son rapport avec les comédiens, metteurs en scène et autres artisans du théâtre, s’avère tout aussi animée, tout aussi riche, tout aussi intéressante que la précédente.

Plus tard en après-midi, une fois que les membres troupe envoyée par Clowns Sans Frontières France envoyés en mission au Cap-Haïtien et ceux du Cirque Kreyol auront fait connaissance dans la cour de l’ENARTS, tous ces forains se joindront à une équipe de musiciennes rara et à la presque totalité des étudiantes et étudiants de l’institution pour défiler dans la rue, histoire de donner officiellement le coup d’envoi à la onzième édition du Festival de théâtre Par quatre chemins. Au milieu de parade, armée de ses caméras, Katel jubile, autant que le monumental artiste Philippe Dodard, qui dirige depuis 2011 de l’institution qui est incidemment son alma mater. Dans une carnavalesque débandade, le cortège s’ébranle dans la rue; encouragé par une foule ravie, il suit son parcours sinueux au beau milieu de la circulation de fin de journée, traverse le Champ de Mars jusqu’à ce qui reste du Théâtre Rex, où toute la bande fera halte, rattrapée par la nuit caraïbe toujours aussi brutale.

Bel bagay, somme toute.

November 25th, 2014
Catégorie: Commentaires, Événements, Réflexions Catégorie: Aucune

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