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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Du rhum, des femmes, de l’aventure

En surfant sur le site du journal Le Libraire (cofondé par Denis LeBrun et moi il y a déjà neuf ans), je suis tombé sur cet hyperlien vers l’entrevue accordée au début du mois par le romancier Henri Vernes, père de l’immortel Bob Morane, au quotidien parisien Le Monde. Mon état de nostalgie permanente aidant, il n’en fallait pas plus pour me replonger dans mes souvenirs de lecture d’adolescent jonquiérois. À la grande époque de sa popularité internationale, Vernes (de son vrai nom Charles-Henri Dewisme) ajoutait six romans par année à sa série créée en 1953. Entre l’âge de dix et quatorze ans, je devais bien en lire au moins un par semaine, sans compter les adaptations en bandes dessinées signées successivement par Dino Attanasio, Gérald Forton puis William Vance (mon préféré!).

Mon ami d’enfance Pierre (frère aîné de Tony Tremblay, le poète) et moi dévorions littéralement les volumes de la série. Et pour cause: Bob Morane, c’était l’archétype du héros sans peur et sans reproche, redresseur de torts, défenseur de la veuve et de l’orphelin, toujours plongé le plus souvent malgré lui dans des aventures rocambolesques qui tenaient soit de l’intrigue policière, de l’espionnage, du fantastique ou de la science-fiction. Flanqué de son fidèle compagnon Bill Ballantine, colosse aussi irlandais que rouquin, éleveur de poules et surtout grand buveur de whiskey devant l’Éternel, Morane parcourait le monde pour secourir des jolies demoiselles en détresse avec qui il entretenait toujours des rapports ambigus mais chastes («Avec la censure sur les publications jeunesse, je ne pouvais pas lui autoriser beaucoup d’écarts. Surtout avec les femmes,» admet son créateur en entrevue.)

Je me souviens encore de son redoutable ennemi juré Monsieur Ming, dit l’Ombre Jaune, de sa relation fluctuante avec la mystérieuse et envoûtante Miss Ylang-Ylang, de sa collaboration avec les agents de la Patrouille du Temps imaginée par Poul Anderson, de son odyssée dans le monde fantastique d’Ananké. Je me souviens aussi de son incursion en Haïti dans un roman intitulé Les compagnons de Damballah qui suscita chez moi toutes sortes de questions dont j’accablai alors mes parents. Je me souviens aussi des nombreux tics d’écriture, des formules toutes faites de Vernes («Morane passa sa main dans ses cheveux noirs et drus»), dont j’ose rigoler gentiment aujourd’hui, même si je n’en étais pas du tout conscient autrefois. Je me souviens surtout du plaisir de lecture que m’ont procuré ces romans que j’ai délaissés au moment de ma découverte de Camus, Kafka, Hébert et Ferron. On n’oublie pas un premier amour, disait l’autre, on va tout simplement plus loin.

Au printemps 1995, j’ai croisé Henri Vernes, qui était l’un des invités d’honneur du Salon du livre de Québec cette année-là. Nous étions à l’Hôtel de ville, pour un vin d’honneur offert par le maire Jean-Paul L’Allier. Quand on m’a présenté le célèbre romancier belge (alors âgé de septante-sept ans au moins), je lui ai candidement avoué que j’avais été un de ses plus fervents admirateurs. Intrigué par ce Noir à l’accent québécois qu’il avait devant lui, Vernes a voulu savoir quel était mon parcours; et, en apprenant mon origine haïtienne, en proie à la nostalgie du globe-trotter, il a soupiré cette formule lapidaire et savoureuse: «Ah, Haïti: le rhum Barbancourt, le soleil, les femmes!» 

December 18th, 2007
Catégorie: Commentaires, Lectures, Réflexions Catégorie: Aucune

5 commentaires à propos de “Du rhum, des femmes, de l’aventure”

  1. Gilles a écrit:

    Merci de raviver ces souvenirs de lecture (surtout les BD) de jeunesse ! Maintenant, je dois remettre la main dessus…

  2. Stanley Péan a écrit:

    Oh, Gilles, je crois qu’elles sont pour la plupart encore disponibles. Enfin, celles des années Vance, sûrement. Et les albums signés par les bédéistes qui lui ont succédé (mais que je ne connais pas).

  3. McComber a écrit:

    Morane glissa hors de sa poche-revolver le coutelas à cran d’arrêt et la lampe-stylo qui ne le quittaient jamais.

  4. Stanley Péan a écrit:

    Je vois que tu connais tes classiques, Éric!

  5. Tristan Rêveur a écrit:

    Que de souvenirs! Que de souvenirs! -À moi, à l’aide… Je m’y replongerais volontiers.

    Je me rappelle de Bill, dieu que je vénérais ses répliques. Je le trouvais nettement plus intéressant que Bob.

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