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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

De retour dans… la Zone!

Rod Serling nous accueille... dans la Zone!

Rod Serling nous accueille... dans la Zone!

Aujourd’hui 5 octobre, mon vieux pote Benoît Dutrizac a sollicité ma participation à son émission de radio au 98,5 FM pour souligner le demi-siècle de la série-culte The Twilight Zone. Du coup, je me suis replongé dans mes souvenirs de cette émission qui a marqué mon imaginaire à l’adolescence et de Rod Serling [1924-1975], son créateur, producteur, principal scénariste et présentateur/narrateur. Rod Serling, mon idole de jeunesse qu’une de mes ex, cette tendre forcenée de Ge, un soir où je lui avais imposé le visionnement du pilote de The Night Gallery, étiqueta péremptoirement «petit maître» pour le distinguer d’un «grand maître» comme Hitchcock… Ge l’ignorait, mais Serling se qualifiait lui-même assez volontiers d’«Alfred Hitchcock du pauvre».

Ex-boxeur, vétéran de la Seconde Guerre, Rodman Edward Serling fait ses débuts dans les médias comme homme de radio à la fin des années 40 et prend assez rapidement du galon en tant qu’auteur de radio-théâtres. Dès le début des années 50, il passe à la télévision, un médium auquel il contribuera à donner ses lettres de noblesse. Serling appartient à la même génération, à la même tradition de scénaristes réalistes pur et durs que Reginald Rose (Twelve Angry Men) et Paddy Chayefski (Marty, Network, Altered States). Comme ces illustres contemporains, il est révélé par quelques drames de mœurs vite portés au grand écran : d’abord, Patterns (chronique des luttes de pouvoir dans un bureau de publicité), The Comedian puis Requiem for a Heavyweight (une histoire de boxeur déchu) qui lui valent coup sur coup l’Emmy du meilleur texte dramatique pour la télé en 1955, 1956 et 1957.

Comme écrivain, Rod Serling se réclame de son idole Ernest Hemingway et ne cache pas son admiration pour le nouvelliste, romancier et scénariste Ray Bradbury (Les chroniques martiennes, Farenheit 451), manière de pendant fantastique/SF d’Hemingway qui n’apprécie guère Serling et le considère plutôt comme un plagiaire de son œuvre. Il est manifestement marqué par son expérience à la guerre (souvent évoquée dans ses histoires) et par un certain existentialisme. D’ascendance juive, Serling ne se réclame cependant pas de la religion hébraîque; les thématiques du nazisme, du fascisme, du racisme et la hantise de l’Holocauste reviennent souvent sous sa plume, et notamment dans The Twilight Zone : Judgement Night, Death’s Head Revisited, The Obsolete Man, The Eye of the Beholder, He’s Alive, etc.

C’est en quelque sorte pour prolonger la tradition du télé-théâtre et, surtout, échapper à la censure institutionnelle grandissante qu’exercent diffuseurs et commanditaires sur la télé américaine que Rod Serling crée The Twilight Zone à la fin des années 50. À travers cette anthologie de l’étrange et de l’inattendu, il se donne la liberté d’aborder des thèmes controversés sous le couvert d’histoires fantastiques, de science-fiction, de suspense. The Twilight Zone sera par exemple la première série télévisée à faire mention de la guerre au Vietnam (dans l’épisode In Praise of Pip). D’autre part, The Twilight Zone se distingue des séries qui lui sont contemporaines et qui, pour la plupart, ont sombré dans l’oubli par son style visuel (l’impressionnante signature du directeur de la photographie George T. Clemens et des réalisateurs sollicités par Serling) et par son ton : bon nombre d’épisodes se présentent sous la forme de fables sur notre aliénation collective, notre déshumanisation, des «morality plays» empreintes d’humanisme et d’humour.

Des 156 épisodes originaux, diffusés entre octobre 1959 et mai 1964, Rod Serling en a scénarisé a peu près les deux tiers (plus de 90). Du propre aveu de Serling, la qualité des scénarios était assez inégale : 1/3 d’excellents épisodes, 1/3 d’épisodes moyens, 1/3 d’épisodes pourris, dont la plupart portait sa propre signature, confessait-il sans trop de honte. De l’avis de bien des critiques, Serling avait la fâcheuse tendance à adopter un ton moralisateur; adaptateur assez astucieux (il avait un sacré métier), dialoguiste parfois un brin littéraire, un brin verbeux, il avait aussi tendance à verser dans un sentimentalisme fleur-bleue et une glorification nostalgique du passé (peut-être liée à ses traumatismes de la guerre) qui le rapprochent chez nous d’un Marcel Dubé… lui aussi auteur d’une Zone d’un tout autre type!

Heureusement, Serling a su s’entourer de deux autres scénaristes qui eux appartiennent non seulement à l’entourage rapproché de Ray Bradbury mais commençaient à se faire une réputation d’incontournables des littératures de l’imaginaire : Charles Beaumont (on lui attribue 26 épisodes, dont certains ont cependant été écrits par ses nègres) et Richard Matheson (qui en signe 14; en plus d’être l’auteur des romans The Shrinking Man, I Am Legend, Duel, Hell House, Somewhere in Time, What Dreams May Come, Stir of Echoes). S’ajoutent quelques collaborateurs occasionnels, moins prolifiques, dont George Clayton Johnson (Logan’s Run), Earl Hamner Jr (The Waltons)… et même Ray Bradbury et Reginald Rose.

Une pléiade de réalisateurs et de comédiens et comédiennes font un détour par cette «cinquième dimension» avant de devenir des gloires des petit et grand écrans : parmi les visages connus de The Twilight Zone, citons en vrac Jack Klugman, Burgess Meredith, Agnes Moorehead, William Shatner, Cliff Robertson, Martin Landau, Lee Marvin, Jonathan Harris, Robert Duvall, Peter Falk, Robert Redford, Dennis Hopper, Rod Taylor, Charles Bronson, Bill Bixby, Dennis Weaver, Elizabeth Montgomery, Julie Newmar, Vera Miles, Mariette Hartley et j’en passe.

The Twilight Zone fera littéralement école. Certes, ce n’est pas, de loin, la première anthologie de fantastique/SF/suspense de la télé américaine, mais elle s’imposera au fil des ans comme celle qui a laissé l’empreinte la plus indélébile sur le genre : les séries The Outer Limits (avec laquelle on la confond souvent), Way Out (la première création de Roald Dahl), Thriller (la série américaine avec Boris Karloff), The Night Gallery (la deuxième excursion de Serling dans le genre), l’autre Thriller (la série britannique connue sous le titre français d’Angoisse), Roald Dahl’s Tales of the Unexpected (connue sous le titre français de Bizarre, bizarre), The Dark Room, Steven Spielberg’s Amazing Stories, Ray Bradbury’s Theatre, Stephen King’s Nightmares and Dreamscapes en sont des rejetons directs; tandis que Star Trek, The Invaders, Fantasy Island, V, The X Files, Psi Factor, Supernatural, Fringe ont toutes subi à des degrés divers l’influence de The Twilight Zone.

Inutile d’aligner ici la liste exhaustive de tous les films fantastiques ou SF qui ont «emprunté» des thèmes, des motifs narratifs ou même des chutes familières aux inconditionnels de The Twilight Zone; citons tout de même The Planet of the Apes (co-scénarisé par nul autre que Serling d’après Pierre Boule), Soylent Green, Magic, Battlestar Galactica, Poltergeist, Mannequin, Christine (d’après un roman de Stephen King, disciple avoué de Matheson), la série Child’s Play, The Sixth Sense, The Others, Donnie Darko, et un tas d’autres.

Mais le legs de The Twilight Zone ne s’arrête pas là. Passons sous silence les anthologies de nouvelles, les adaptations en comic books, les chansons (de Manhattan Transfer, de Golden Earring, de Rockwell, de Michael Jackson, etc.), les jeux de société, les pinballs machines et les attractions à Disneyland, qui déjà témoignent de la persistance du souvenir de l’oeuvre de Serling. Malgré son semi-échec commercial, l’inégal Twilight Zone : the Movie produit en 1983 par Spielberg (qui avait commencé sa carrière en réalisant un sketch du pilote de The Night Gallery et dont le premier film, Duel, avait été scénarisé par Matheson) a ravivé l’intérêt pour l’œuvre de Rod Serling. Dès lors, un premier revival télévisé a été diffusé par CBS TV de 1986 à 1989; un téléfilm présenté par James Earl Jones en 1994 a repris deux scénarios inédits de Serling (The Theater et Where the Dead Are), un second revival de très brève durée a suivi au début des années 2000, avec Forrest Whitaker comme présentateur/narrateur. Et à l’heure actuelle, Leonardo Di Caprio a annoncé son intention de produire un nouveau remake pour le grand écran de cette série-culte.

Mes épisodes préférés? Dur, dur, le choix. Allons-y tout de même d’une douzaine. De Serling: And When The Sky Was Opened (d’après Matheson), Time Enough at Last (d’après une nouvelle d’une auteure dont j’oublie le nom), To Serve Man (d’après Damon Knight), The Monsters Are Due on Maple Street, The Eye of the Beholder, In Praise of Pip.  De Beaumont: Long Live Walter Jameson, Perchance to Dream, The Howling Man. De Matheson: A World of Difference, A World of His Own, Nightmare at 20,000 Feet.

P.S.: Je constate que notre petit brin de jasette, à Benoît et moi, est en ligne sur le site du 98,5 FM pour je ne saurais dire combien de temps, mais on peut le réécouter en cliquant sur ce lien.

October 5th, 2009
Catégorie: Commentaires, Réflexions Catégorie: Aucune

2 commentaires à propos de “De retour dans… la Zone!”

  1. Mireille Noël a écrit:

    Merci pour cet excellent article.

  2. christophe rodriguez a écrit:

    Et je seconde.

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