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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Caraquet, havre pour poètes

— Je vous connais, vous, de me lancer le soir de l’ouverture un monsieur du coin, sur un ton sybillin. Et je dois vous dire combien j’étais surpris de voir votre nom au programme. Parce que je vous ai toujours considéré comme un écrivain, mais pas comme un poète…

Je sais bien que je ne suis pas poète, pas vraiment, et je l’avais gentiment signalé aux organisateurs de l’événement l’hiver dernier en répondant à leur invitation, mais ils étaient pour leur part tout à fait ouvert aux autres genres. N’empêche, la distinction catégorique à laquelle s’accroche mon interlocuteur méritait qu’on s’y arrête, qu’on demande précision. Les poètes ne sont-ils pas des écrivains qui oeuvrent dans le domaine de la poésie? L’homme me sourit, énigmatique, mais refuse d’aller plus loin. «Peut-être, mais être écrivain, c’est plus que ça…»

Je me suis peut-être trompé en voyant dans cette nuance un soupçon de dédain pour les poètes et l’idée d’une hiérarchie entre les genres littéraires et ceux qui les pratiquent. Et si hiérarchie il y a à établir, je tiens la poésie comme la forme la plus pure de la littérature, celle dont toutes les autres ont à apprendre, celle qui se rapproche le plus de la musique, l’art absolu à mes yeux. Alors l’idée selon laquelle le statut d’écrivain serait supérieur à celui de poète m’apparaît comme un non-sens.

Cela dit, hier encore, certains collègues comme Christine Germain et Claude Le Bouthillier semblaient partager l’étonnement de mon énigmatique monsieur ou de mon ami Denis LeBrun l’autre soir à l’idée qu’on me qualifie de poète ou à celle de m’entendre livrer des textes qui relevaient bel et bien du genre. En après-midi au Café Phare, a capella, j’ai revisité «Le paradis n’aura d’autre visage», un texte commandé par le chef d’orchestre Jean-François Rivest et lu il y a quelques années en guise de liminaire à une présentation de la Quatrième de Mahler par l’Orchestre symphonique de Laval en format orchestre de chambre, sous la direction du maestro. Plus tard, à la soirée de poésie Martin-Pître (ainsi baptisée en hommage à l’un des fondateurs du Festival acadien de poésie de Caraquet), soutenu par le trio du trompettiste, flûtiste et bassiste Sébastien Michaud, j’ai donné à entendre en deux temps des extraits d’une nouvelle mouture de ma suite poétique «Noir, presque bleu».

Créée il y a des lustres à l’occasion d’une soirée de poésie du Festival international de littérature (d’ailleurs captée au Cabaret le Lion d’or pour diffusion à la défunte émission Les Décrocheurs d’étoiles réalisée par… Christine Germain et diffusée à la Chaîne culturelle de Radio-Canada), cette suite mélancolique inspirée d’une chanson d’Elvis Costello immortalisée par Chet Baker m’a semblé avoir pris un tout autre sens, maintenant que des chagrins plus récents se sont superposés à celui qui faisait alors objet d’autopsie:

À harnacher les fins du monde
On se surprend à chevaucher avec aisance
Les apocalypses privées annoncées
Par le chant de la trompette

À courtiser les désastres, on y prend goût
On se laisse baptiser volontiers pauvre crétin
Sans ambition autre que celle des idées noires, presque bleues
Toutes ces chansons marmonnées plus que chantées
Tous ces serments dans la langue immémoriale
De nos corps imbriqués dans la nuit
Toutes ces promesses que portait ton regard
Presque bleu à force d’être noir

Au programme aujourd’hui, ma dernière activité en tant que «poète», une participation à la table ronde qu’anime ce vieux compère de Serge Patrice Thibodeau autour du thème de l’écriture et de la marge.

August 6th, 2011
Catégorie: Nouvelles Catégorie: Aucune

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