stanleypean.com


Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Bleu, à peu près

John Coltrane, Julian «Cannonball» Adderley, Miles Davis et Bill Evans en studio

Le 22 avril 1959 vers 17h00, une bonne demi-heure avant la fin du temps qui leur était alloué dans ce studio new-yorkais de la Columbia, Miles Davis et ses compagnons (les saxophonistes John Coltrane et Julian Cannonball Adderley, le pianiste Bill Evans, le contrebassiste Paul Chambers et le batteur Jimmy Cobb) ont terminé l’enregistrement des deux dernières plages de ce qui allait devenir l’album-charnière dans l’oeuvre du trompettiste, un véritable jalon dans l’histoire du jazz et de la musique moderne, Kind of Blue. Vous devinez que j’ai amplement parlé de cet anniversaire incontournable, sur mon autre blogue depuis hier, ce matin, sur la page Facebook d’Espace Jazz et en ondes dans le cadre de ma chronique hebdomadaire à l’émission de Marie-Christine Trottier sur Espace Musique. J’ai en effet pris amplement le temps de situer le contexte de la création de ce disque, son importance et ses répercussions. J’ai cependant moins discouru sur ce que représente pour moi ce disque dont je ne me lasse pas, dont je ne me lasserai jamais, la trame sonore de certains des moments les plus intenses de mon existence.

Au-delà du caractère révolutionnaire de cette musique qui n’a pas pris une ride en un demi-siècle, au-delà de sa beauté proprement céleste («it must have been made in Heaven,» aux dires de Cobb, le seul survivant de cette aventure phonographique historique), l’écoute de Kind of Blue me replonge toujours dans une sorte de transe, entre extase et mélancolie. Les souvenirs affluent volontiers, en vrac, les plus importants teintés de tendre sensualité: ce sont des soirées en agréable compagnie dans l’appartement de mon ami Voltaire que je squattais avant d’avoir mon propre pied-à-terre montréalais, soirées passées à réécouter l’immortel long-jeu; ce sont des nuits entières à laisser tourner en sourdine l’édition plaquée or, en alternance avec Misterios de Wallace Roney et Moodswing de Joshua Redman lors d’un séjour à Marseille; ce sont toutes les occasions que j’ai eues de le redécouvrir au gré des innombrables rééditions, en partageant un verre ou un repas, en écrivant, en faisant l’amour; ce sont toutes ces fois où je l’ai offert en cadeau à un ami, à une amie, à une amante qui ne le connaissait pas encore, leur enviant l’inévitable et vertigineux émoi de la première audition… (Pas étonnant que le disque n’ait jamais été en rupture de stock; à moi seul, je justifie toutes ces réimpressions et rééditions à n’en plus finir!)

Un jour, je ne me souviens plus à l’occasion de quelle entrevue, une journaliste m’avait demandé de définir l’état de grâce et je l’avais fait en ces termes: «l’état de grâce, c’est prendre un somptueux repas généreusement arrosé, dans un éclairage tamisé et en agréable compagnie… au son de Kind of Blue

Inutile de dire que je n’ai guère changé d’avis depuis.

April 22nd, 2009
Catégorie: Auditions, Commentaires, Réflexions Catégorie: Aucune

≡ Soumettez votre commentaire