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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Péan au Népal, Jour 6bis — En camping à Chapeli

On en aura vite fait un gag récurrent : puisque la durée d’un trajet entre n’importe quels deux villages du district de Lalitpur est toujours d’une demi-heure, selon Krishna Lama, France-Isabelle a pris l’habitude de demander au président du LDMPCU ses estimations en nombre de demi-heures. Cela dit, nous arrivons relativement vite à Chapeli, où l’équipe de soutien à notre expédition a déjà dressé nos tentes : la grande verte (qui fait office de salle à dîner) et ses dépendances (la cuisine, les toilettes pour hommes et femmes), ainsi que les petites jaunes et orangers dans lesquelles nous dormirons deux par deux au cours des trois prochaines nuits.

Après le savoureux lunch préparé par notre cuisinier (dont Gele Rapke Bhote, conseiller à la gestion des coopérants pour le CECI Népal, nous dit qu’il a été le chef privé du Prince Charles lors d’une expédition similaire), nous nous séparons en deux groupes. Tandis que France-Isabelle, Kiran et leur accompagnatrice Sagun Bista, agente de programme Uniterra, rendront visite aux femmes de Chapeli à l’ouvrage sur l’un des pics surplombant le village, Krishna Lama, Gele Bhote, Benoît et moi rencontrerons les chefs des trois partis actifs sur la scène politique de la communauté, qui sont également fermiers.

Mon entretien à bâtons rompus avec eux a lieu devant public, dans une cabane en tôle, un des nombreux édifices de fortune érigés au lendemain du séisme. Pendant trois quarts d’heure, j’explore avec ces messieurs les avenues qui pourraient s’offrir à eux pour la reconstruction de leurs infrastructures et la dynamisation de leur industrie. N’étant pas spécialiste en économie agricole, j’ose tout de même quelques questions assez candides – je les interroge notamment sur l’éventuelle possibilité de procéder sur place à la transformation d’une partie du lait récolté par l’ensemble d’entre eux en denrées plus aisées à conserver et à transporter (fromages, yogourts). Mes interlocuteurs accueillent cette suggestion avec un mélange d’étonnement et de doute, et il me faut bien convenir avec eux que la priorité demeure la reconstruction de ce qu’ils ont perdu, qui tarde, faute de ressources. Pour des opposants politiques, ils m’ont l’air de partager bien des points de vue : il semble bien que la gravité de leurs problèmes ait temporairement dissipé leurs dissensions.

Après la discussion théorique, il faut bien passer à la visite des lieux, dévastés par le tremblement de terre. Chapeli a des petits airs de parentés avec ces villages quasi abandonnés dans ces vieux westerns d’autrefois. Entraïnés par Khrishna Lama, Gele, Benoît et moi allons chez quelques-uns des fermiers dépossédés de leur profit par le séisme : d’abord, ce barbu décharné dont la maison a été littéralement pulvérisée par le séisme et qui vit désormais avec sa famille et les animaux survivants de son cheptel dans un modeste abri en tôle à flanc de montagne; ensuite, cet autre malheureux qui a érigé son propre abri familial, tout aussi modeste, au pied de ce qui fut autrefois son foyer de deux étages. De sa cour, nous pouvons voir des jeunes en uniformes scolaires impeccables remonter de l’école tout en bas. À mes yeux, l’image est aussi frappante qu’inspirante : ici aussi, la  vie n’a manifestement pas encore dit son dernier mot.

March 1st, 2016
Catégorie: Commentaires, Lectures, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

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