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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Les porteurs d’eau de l’Olympe

À moins de vivre sur la planète Mars, vous n’êtes pas sans savoir que la Writers’ Guild of America (syndicat des scénaristes hollywoodiens) a déclenché une grève générale il y a quelques semaines déjà, pour la quinzième fois depuis le début des années 1960. Pour quelle raison? Toujours pour la même à vrai dire: pour que cette méga-industrie du divertissement qui ne cesse d’accroître son hégémonie mondiale reconnaisse et rénumère adéquatement ces créatrices et créateurs sans lesquels aucune oeuvre ne sortirait des studios des majors de Hollywood – ce qui, à en juger par la qualité moyenne de l’ensemble de la production, ne serait pas forcément déplorable… (Just joking, of course…)

Dans le cadre de ce conflit de travail entre richissimes producteurs et scénaristes pas mal moins fortunés, on a tenu hier chez Paramount une «journée Star Trek» réunissant divers comédiennes et comédiens, techniciennes et techniciens et (évidemment) scénaristes associés à la mythique série télévisuelle et cinématographique. Parmi celles et ceux-ci, mon écrivain-fétiche Harlan Ellison, controversé signataire du plus célèbre épisode de Star Trek («The City on the Edge of Forever»), a pris la parole pour expliquer aux fans les tenants et aboutissants de la grève. En somme, selon le génial septuagénaire qui s’exprime ici avec sa verdeur légendaire, les scénaristes hollywoodiens sont les serfs sur la tête desquels les producteurs pissent allègrement en leur reprochant de ne pas apprécier ce qu’on leur donne à boire. Maillons de la chaîne essentiels et pourtant traités comme des porteurs d’eau, les scénaristes se voient systématiquement refuser leur juste part des incalculables bénéfices générés par l’exploitation du fruit de leur labeur sur les nouvelles plateformes médiatiques. Mais attention aux seigneurs de l’Olympe, nous prévient Ellison, en grande verve syndicale, l’Histoire nous apprend que parfois les serfs montent au sommet des montagnes pour décapiter les seigneurs qui ont abusé d’eux…

L’autre jour à l’assemblée annuelle générale de l’Union des écrivaines et écrivains québécois, il s’est trouvé un membre de l’association pour évoquer la grève de la WGA et les leçons que nous pourrions en tirer… On peut bien sûr rêver. L’ennui, c’est que notre Union ne constitue pas vraiment un lobby assez puissant pour paralyser son industrie (rien n’empêcherait par exemple les livres des écrivaines et écrivains d’ici ou d’ailleurs qui ne sont pas membres de l’Union de continuer de paraître et d’être lus). Et même si nous étions aussi concrètement essentiels que les membres de la WGA pour Hollywood, honnêtement, quels bénéfices pourrions-nous espérer tirer d’une grève générale? Comme le faisait remarquer lucidement et un peu crûment François Jobin, membre du conseil d’adminstration de l’UNEQ, «il est hélas fort peu probable qu’un lecteur, aussi fanatique soit-il, menace de se suicider sous prétexte qu’on le prive des livres de l’un ou l’autre d’entre nous.»

Comme quoi tous les porteurs d’eau ne sont pas égaux devant les Dieux…

December 11th, 2007
Catégorie: Commentaires, Réflexions Catégorie: Aucune

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