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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Le visage du Monstre

Ainsi que le laissait entendre la chanson d’Eicher et de Djian, il n’est possible de déjeûner en paix que si l’on fait abstraction des nouvelles qui sont mauvaises d’où qu’elles viennent. Le moins qu’on puisse dire — et c’est souvent une constante — c’est qu’on a l’embarras du choix au chapitre des tragédies et des catastrophes meurtrières, plus ou moins grandes. Si ce n’est pas la sécheresse en Afrique qui, essentiellement, indiffère l’Occident, ce sont les faits divers locaux comme l’apparente clémence des jurés au procès du médecin infanticide (quelle formule scandaleusement antithétique!) Guy Turcotte ou un vingt-et-unième meurtre à Montréal hier soir.

Les nouvelles qui nous parviennent de cette Norvège d’ordinaire si paisible (j’y ai séjourné brièvement l’an dernier) sont plus désespérante encore. Une certaine tradition attribue aux anges des cheveux blonds et des yeux plus bleus que le ciel — d’ailleurs, le mécréant que je suis en connaît certains tout à fait conformes à cette image. En dépit de ses airs de chérubin, le néo-nazi Anders Behring Breivik n’a rien d’un ange, lui qui a délibérément choisi de passer à l’Histoire comme l’auteur des crimes les plus ignobles commis dans la patrie de Grieg et Ibsen depuis la Deuxième Guerre mondiale. Dans mon récent roman Bizango, je prêtais justement à mon héroïne Domino mon opinion sur «[ces] hommes qui n’avaient nul besoin de se défaire de leur peau de tous les jours pour se conduire en véritables monstres.»

La photo de Anders Behring Breivik, postée par lui-même sur son profil Facebook. Crédits photo : Facebook/AFP

À en croire le manifeste de Breivik cité abondamment par les médias pour contextualiser ses gestes sordides de vendredi, le trentenaire en avait contre la gauche et contre l’Islam — et il faut peut-être imaginer que chez nous, un type tel que lui se délecterait sans aucun doute des chroniques tellement nuancées d’un Richard Martineau comme un bébé boit du petit lait!

Dégoûté par ce Marc Lépine à la puissance n, je me suis souvenu des éditoriaux de Camus sur l’Algérie livrée à la violence sans vergogne des terroristes du FLN et à celle de l’armée coloniale française. Fils des quartiers pauvres d’Alger, l’auteur de L’Étranger et de La Peste savait qu’il marchait sur des oeufs en abordant cette question mais en arrivait néanmoins à condamner les deux camps tout en affirmant avec vigueur du terrorisme qu’il était

«[un] crime qu’on ne peut ni excuser ni laisser se développer. Sous la forme où il est pratiqué [par le FLN], aucun mouvement révolutionnaire ne l’a jamais admis et les terroristes russes de 1905, par exemple, seraient morts (ils en ont donné la preuve) plutôt que de s’y abaisser. Après tout, Gandhi a prouvé qu’on pouvait lutter pour son peuple et vaincre sans cesser un seul jour de rester estimable. Quelle que soit la cause que l’on défend, elle restera toujours déshonorée par le massacre aveugle d’une foule innocente où le tueur sait d’avance qu’il atteindra la femme et l’enfant.»

Bref, ces nouvelles de Norvège nous donnent à voir le visage du Monstre, qui ressemble à s’y méprendre à celui du surhomme aryen dont rêvaient les nazis. Un pensez-y bien?

July 24th, 2011
Catégorie: Commentaires, Événements, Réflexions Catégorie: Aucune

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