stanleypean.com


Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

La littérature par la bande (suite)

En septembre dernier, en réaction au passage de Christian Mistral à l’émission Tout le monde en parle, j’avais noté sur ce blogue que j’estimais qu’en dépit de son hostilité inexplicable à l’égard de la journaliste Brigitte McKann, l’écrivain, manifestement angoissé par l’idée de se retrouver sur ce plateau, s’en était somme toute bien tiré — l’entrevue ayant essentiellement porté sur sa dent cassée, son impécuniosité, ses déboires avec la justice (un peu, tout de même) et ses problèmes d’alcool. Mon amie, la romancière Marie-Françoise Taggart aussi semble trouver que Mistral s’en est bien tiré, beaucoup trop bien même. Elle qui a été violemment battue par Mistral qu’elle fréquentait et croyait aimer il y a une vingtaine d’années, elle qui porte encore en elle les cicatrices psychologiques de cette agression longtemps après la disparition des bleus, Marie-Françoise aurait préféré que Guy A. Lepage soumette l’auteur de Vamp à une entrevue moins complaisante. Surtout sur la question de son passé violent, qu’il a résumé par une formule assez inoffensive («une gifle à ma blonde»). Le lendemain de l’émission, elle a adressé à l’équipe de TLMEP à ce sujet, pour laquelle elle n’a jamais obtenu de réponse. Le week-end dernier, au lendemain de la mort de Norman Mailer (quel hasard étrange!), Marie-Françoise était invitée à l’émission radiophonique de Benoît Dutrizac au 98,5 FM, pour y raconter son histoire et y lire sa lettre, intitulée «Une gifle à la Mistral».

Ce n’est pas la première fois que j’entends une femme exposer en détails ce à quoi peut ressembler une «gifle à la Mistral» (il y a fort longtemps, j’ai vécu une liaison brève mais passionnée avec une autre ex de l’écrivain, qui une nuit m’a confié en sanglots son histoire très semblable à celle de Marie-Françoise). Aux dires de l’auteure de Paie-moi une bouffe, poète et de Baisée (sous le pseudonyme Mary Raspberry), c’est que Mistral ne se serait jamais repenti; le pire, note-t-elle, c’est qu’il affirme qu’il y a désormais «moins de violence» dans sa vie et que cet aveu laisse croire qu’il y en a encore.

Cette violence domestique, j’en connais les deux visages. Beaucoup trop de femmes de ma génération en ont souffert. J’en ai intimement connu quelques unes. Beaucoup trop d’hommes de ma génération s’en sont rendus coupables. Là encore, j’en ai personnellement connu quelques uns, avec qui j’ai rompu les liens. Cette violence inacceptable et inexcusable crée chez moi un malaise profond. C’est d’ailleurs ce malaise qui m’a inspiré une nouvelle reprise dans mon dernier recueil, «Le samedi soir, quand la tendresse», où un narrateur prend péniblement conscience du fait que son meilleur ami bat manifestement sa conjointe depuis longtemps.

Lors de son entrevue avec Marie-Françoise, Dutrizac soulevait une question fondamentale: serions-nous collectivement plus indulgents avec les batteurs de femmes, plus prêts à les absoudre de tout blâme, quand ils sont des personnalités connues?

November 13th, 2007
Catégorie: Commentaires, Réflexions Catégorie: Aucune

15 commentaires à propos de “La littérature par la bande (suite)”

  1. Nadia a écrit:

    Dans ton recueil ce thème revient souvent sous différents visages. Ce que j’ai beaucoup apprécié dans la nouvelle “Le samedi soir…” c’est que tu nous présentes ce moment dans la vie d’un homme, où il comprend qu’il n’y a rien de léger ou d’excusable dans les “gifles” ou les “serrements de bras”, même faits sous prétexte de débordements passionnels. Il est vraiment temps que des hommes abordent plus ouvertement la violence pour s’y opposer…

  2. Stanley Péan a écrit:

    Merci de l’avoir lu ainsi: c’est exactement le constat que j’ai fait moi-même il y a plusieurs années et que j’ai essayé d’exprimer sous forme de fiction.

  3. Venise a écrit:

    Malgré que ça ne me tente pas que ce Tout le monde en parle devienne une table de jurés, c’est remarquable que le geste de Mistral ait si bien passé. Mon mari m’a fait penser au jour où Chantal Pary est passé à l’émission et où l’on a harcelée de questions pour un banal vol à l’étalage ! Il n’y a pas de commune mesure pourtant. Quant à moi, ne connaissant pas les dessous de cette histoire, je l’ai cru quand il a dit que c’était une période derrière lui mais je ne l’ai pas cru quand il a parlé d’une baffe. Si je me souviens bien, il a fait de la prison (est-ce bien ça?), il est donc bien évidement que c’était plus qu’une baffe. J’avais pour mon dire qu’il avait payé pour son crime.

    Je suis surprise que l’équipe ne tienne pas compte de votre lettre, ils leur arrivent de publier des commentaires accusateurs sur le “On jase là” . Vous savez des choses qu’ils n’ont peut-être pas le goût d’étaler par souci de la vie privée. Par contre, cela serait la moindre des choses d’au moins vous répondre personnellement. Je suis curieuse de savoir si vous moins enclin à lire cet auteur ?

  4. Stanley Péan a écrit:

    Moi non plus, je ne tiens pas à ce que TLMEP devienne une sorte de tribunal médiatique, même si Victor-Lévy Beaulieu croit déjà que c’est le cas. Et moi aussi, comme Dutrizac d’ailleurs, je m’étonne que la lettre n’ait eu aucun écho dans l’équipe de l’émission. (Cela dit, ce n’est pas ma lettre, ainsi que vous semblez le croire, mais bien une lettre écrite par la romancière Marie-Françoise Taggart, alias Mary Raspberry.) Quant à l’oeuvre de Mistral, je ne l’ai jamais fréquentée assidûment: j’ai bien sûr lu Vamp, Vautour, Carton pâte, Julien Vago et Valium à l’époque de leur sortie, mais je n’ai jamais partagé l’enthousiasme des critiques pour son écriture. De tous ces livres, c’est Vautour qui m’avait ému. Pour le reste, pas vraiment ma tasse de thé.

  5. Jack a écrit:

    Je suis très remué par les faits relatés ici. Je ne connaissais pas le fond des démêlés de Mistral avec la justice. Et c’est vrai que TLMEP a glissé vite sur cette misère! J’ai interviewé Mistral en 1990 pour Train de nuit (radio centre-ville) et j’ai beaucoup appris de ce jeune auteur ambitieux. C’était avant «les bas-fonds» comme il l’a dit lui-même. L’échange récent entre Jean Barbe et Mistral (… à la table d’à côté, Radio-Can) fut, à mon humble avis, un vif moment d’authenticité entre deux auteurs. Je ne suis pas, par ailleurs, un très bon lecteur de Mistral. J’ai son récent roman parmi ma pile. J’en suis à l’exergue. Je ne sais trop quoi penser non plus, sur le plan éthique, de la complaisance possible des médias ou de quiconque en regard des «petites violences», comme dirait Madeleine Monette. Et il est indubitable à la lumière de ce que tu rapportes que la personne concernée souffre encore. Mistral aussi m’apparaît être une personne verrouillée. Or la souffrance n’excuse pas la violence, bien sûr. Elle marque au crayon gras nos échecs. La violence est toujours insoutenable philosophiquement, disait Camus dans L’Homme révolté. Maintenant, je suis loin de posséder tous les fils de la coulisse qui relient Valium à Baisée. Mais côté du pansement possible des blessures, on trouvera un témoignage significatif de Marie-Françoise Taggart elle-même faisant part des excuses de Mistral à son endroit et de la libération que ce repentir lui a procuré. C’était, sauf erreur, lors du Salon du livre de Montréal en 2004. L’auteur y présentait Baisée. Elle redoutait la présence de Mistral. Elle écrit :
    «Au troisième jour du Salon, Christian Mistral est venu à ma table. Je tremblais comme une feuille. C’était la première fois que nous nous voyions en quinze ans. Il s’est approché, la tête basse, très ému. Il m’a serré la main. Il a demandé une dédicace. Puis, est arrivé quelque chose d’incroyable : il m’a demandé pardon.
    C’était un pardon très sincère.
    C’était un pardon qui venait de loin.
    Qui avait attendu longtemps, quinze ans, peut-être, pour sortir de son chapeau.»
    http://martinwinckler.com/article.php3?id_article=485

    Que cette émotion ait pu exister entre les deux personnes concernées me rassure. Cela montre que la réparation et la parole peuvent soulager mieux qu’une cour de justice et cent mieux que nos standards moralisateurs. Reste que tout cela nous interpelle au-delà des «littérateurs» et des contextes changeant. J’ose croire que le dialogue est d’or, plus que le silence.

  6. Stanley Péan a écrit:

    Pas plus que j’espère de l’émission TLMEP qu’elle devienne une sorte de tribunal médiatique, je n’oserais m’octroyer la fonction de juge et jury, dans cette affaire comme dans une autre. Je ne crois pas détenir la vérité divine ou autre. Je me suis borné à constater des faits qui, comme tu le soulignes, Jack, nous interpellent sur le plan éthique et humain.

  7. Sans nom a écrit:

    Sans titre

    Quand une femme a peur
    Des menteurs, des batteurs, des violeurs, des docteurs, des crosseurs, des buveurs
    Quand une femme a peur
    Des gros tas, des Cantat, des mafias, des p’tits rats, des gros bras, de l’omerta
    Quand une femme a peur des “amis”, des conflits, des délits, des partis, des pourris, des maris
    Quand une femme a peur des COMPLICES, de la police, de La Palisse, des petits christs, du machisme, des Narcisse (!)
    Quand une femme a peur des vendus, des tordus, des trous-de-cul, des pendus, des soutenus (encore eux-autres)
    Quand une femme a peur du silence, de la souffrance, de l’INCONSCIENCE, des fausses danses pis des manigances
    Quand une femme a peur du chantage, du parlage, du niaisage, des présages, du ménage
    Quand une femme a peur du travail, des fins de bail, de la racaille, de la bataille, de la merdaille, de la pagaille
    Quand une femme a peur de la rumeur, des menteurs (bis), des fourreurs, des SOUTENEURS pis des “isoleurs”
    Quand une femme a peur des coups de poing, des vauriens, des “font rien”, des FAUX SAINTS
    Quand une femme a peur de la télé, des soupers, des partys, des fêtés, de la curée, des guerriers
    Quand une femme a peur du Salon, des “adons”, des gros cons, des patrons, des lurons, des chansons
    Quans une femme a peur des soûlards, des poignards, des gros lards, des paillards, du cafard
    Quand une femme a peur des faux frères, des compères, des pervers (pis du racisme à l’envers)
    Quand une femme a peur des chapeaux, des manteaux, des costauds, des gros mots pis du “statu quo”
    Quand une femme a peur de partir, de s’enfuir, de r’venir, de mourir, de périr pis d’écrire (pis même de jouir, hostie)
    Quand une femme a peur des gros sacres, des grosses claques, des grands smattes, des farces plates pis du “Publi-Sac” – TABARNAAAAAAK
    Quand une femme a peur des baveux, des fouilleux, des morveux, des niaiseux, des mafieux
    Quand une femme a peur de la torture, des injures, des PARJURES, de la tonsure pis de sa sépulture
    Quand une femme a peur de la sonnerie, de la menterie, de la connerie , de la soulerie – pis des “photocopies”
    Quand une femme a peur de son ex, de son texte, de son sexe, du vortex, du silex
    Quand une femme a peur des p’tites cliques, des gammicks, des deux de pique, des sadiques
    (et encore les complices)

    Quand une femme a peur
    Quand une femme a peur
    Au point d’y laisser son nom…

    (Et nous ne sommes pas seules).

    Le 16 novembre 2007

  8. Stanley Péan a écrit:

    Merci pour ce texte et la réflexion qu’il ne manquera pas de susciter.

  9. Jack a écrit:

    Je suis très heureux de vous lire, Marie-Françoise, et de vous entendre donner l’heure qu’il est pour vous. Je n’ai pas cité vos propos dans l’idée bête d’attiser les contradictions. Les contextes de vie sont changeant et notre esprit aussi. Sinon, c’est la mort ou la folie, le refus d’avancer avec tout le poids de nos dilemmes et de nos impossibilités.
    Je ne peux répondre à la place de Christian qui me semble être un écrivain capable de profondeur mais que j’ai à peine croisé à deux reprises. Pour le simple spectateur que je suis, de loin,vos questions demeurent graves et me font repenser autrement à l’interview avec Lepage. Comme vous dites, nous sommes des philtres, en effet, et les violences imposées ressortent par nos yeux coupables, dieu sait pourquoi! Mais l’émotion peut aussi éclairer la nuit et la raison. Je reçois bien la mise en perspective de vos réserves qui sont hautement compréhensibles. Maintenant, le «vieil» étudiant en éthique que je suis ne peut s’empêcher d’avoir reconnu dans votre témoignage précédent le risque inspirant de la parole humaine qui s’échange malgré les blessures, malgré notre finitude. Je ne vois pas d’autres chemins pour alléger véritablement nos épaules et réguler les comportements inacceptables. Il existe fatalement un écart entre nos affiches et nos pratiques, écrit le philosophe Jean-François Malherbe. Tout le travail en éthique, autre mot pour dire le bonheur et ce qui nous anime, me semble se situer dans cet effort pour réduire ensemble cet écart. Ensemble! Mais dire cela de l’extérieur est peu de chose. Je le sais. Et c’est parfois impraticable. Il reste qu’à travers tout cela chacun devient soi, disait Nietzsche. Je vous laisse mes pensées les meilleures.

  10. Katy a écrit:

    J’ai été très émue par la lecture de la lettre de Marie-Françoise Taggard. Je ne connaissais pas du tout les démêlés avec la justice de Mistral et je me désole de la légèreté avec laquelle l’équipe de Tout le monde en parle a abordé le sujet, à la lumière de son témoignage.

    J’en suis d’autant plus étonnée que Guy A. Lepage est capable de plus de mordant. Il n’a pas hésité à ridiculiser plus d’un invité et à le tourner en dérision. De plus, comment expliquer le silence de l’équipe de Tout le monde en parle suite à l’envoi de la lettre de Marie-Françoise? Je suis choquée, outrée et même révoltée! Je ne comprends pas. Comment demeurer insensible à la lecture (ou à l’écoute devrais-je dire ici) du poignant témoignage de Marie-Françoise qui est la voix de tant d’autres femmes? Comment même oser en remettre en annonçant complaisamment qu’un dentiste offrira gratuitement ses services à Mistral sans faire aucune mention de la lettre de Marie-Françoise? Faudra-t-il que Marie-Françoise, puisqu’elle est auteure également, publie un livre à sensation pour que Tout le monde en parle daigne lui accorder une “attention médiatique”?

    Je suis dégoûtée car les vraies victimes ne sont pas ici reconnues. Les rôles se sont même inversés et c’est Mistral qui est victimisé. Le comble, n’est-ce pas?

  11. Roselyne Carbonnell a écrit:

    J’ai écouté l’émission, Marie-Françoise, et vos propos, portés par votre voix douce et posée semblent avoir l’accent de la sincérité. Vous m’avez gravement émue et remuée, au point de me faire pleurer.

    Ce que je n’ai toutefois pas encore cerné, et qui me met un peu mal à l’aise, c’est la motivation qui vous a poussée à écrire votre dernier roman, Baisée, hormis cet imbroglio relatif aux lettres d’amour volées. Car ce roman semble tout de même avoir été un projet d’ampleur.

    Aussi, la violence de M. Mistral à votre endroit, cet accès de folie aussi inexcusable et qu’inadmissible, peut-on totalement la dissocier de la particularité de l’histoire d’amour que vous viviez à ce moment-là? (triangle amoureux, suicide de l’amante qui avait une dizaine d’années de plus que vous et que M. Mistral aimait aussi – vous a-t-il tenue responsable de ce terrible événement? ce qui serait en bout de ligne l’ultime violence qui vous aurait été portée – et peut-être une double violence, finalement).

    Je me sens violente à l’évoquer, et me fais peut-être mon propre roman.

    Quoi qu’il en soit, je vous envoie mes meilleures pensées et vous souhaite de trouver la paix.

  12. Christian Mistral a écrit:

    Eh bien! Mon vieux Stan… C’est donc de toi qu’origine ce lien vers le plus récent délire de Marie. Je ne devrais pas être surpris. Et, pas plus qu’à Dutrizac, l’idée ne t’est venue de m’offrir une opportunité d’exposer ma version. Tu es Québécois parce que ta famille a fui un régime où l’on était ainsi massacré sans égard pour le simple processus d’accusation/défense. Tu es président de l’Union des Écrivains. Et tu oses me condamner publiquement ainsi sur la foi de cette lunatique qui me poursuit depuis vingt ans de sa dangereuse fascination . Mon vieux, tu me cherches depuis si longtemps que c’en est lancinant, et tant que ça demeurait entre nous, tout était cool, mais cet intolérable assaut dont tu déguises les motifs sous des oripeaux de souci pour la non-violence, cette tentative (réussie, dirait-on) pour détourner de mon oeuvre les honnêtes gens, le fait que je sache quelle putain jalouse tu es et que moi aussi je me retiens depuis longtemps de te régler ton compte, font que je vais m’exprimer cette semaine pour ma défense et qu’on va bien s’amuser. Sonne le rappel de tous tes amis, les vrais, pas la tonne que tu qualifies ainsi sur ce site michelgirouardesque et qui te vomissent en secret, sonne fort parce que tu en auras besoin. Moi, j’ai la vérité de mon bord, qui ne compte pour rien, des amis dont je n’ai pas besoin pour te dénoncer, et la chance d’être Christian Mistral alors que tu ne l’es pas. On se recroise dans quelques jours, sur un forum de mon choix cette fois, et souviens-toi que j’aurai eu la courtoisie de t’avertir ici avant de t’accuser ailleurs.

  13. marie-françoise taggart a écrit:

    @ Jack: mon commentaire précédent a été effacé par erreur. Merci d’y avoir répondu !

    Voici en gros ce que j’écrivais : il est vrai qu’en 2004, dans un texte publié sur le net, j’avais décrit les “excuses” de Christian Mistral à mon endroit. Primo, j’avais écrit ces mots avant d’entreprendre une thérapie. Deuzio, je doute aujourd’hui de sa sincérité à l’époque. Pourquoi ? Parce que celui qui assume ses actes passés n’aurait pas déformé la vérité à la télévision, comme l’a fait Christian Mistral à l’émission TLMEP : il n’aurait pas tenté d’atténuer sa violence envers ses blondes, alléguant que la conséquence principale en fut de le ruiner financièrement, sans manifester AUCUNE considération pour les vies qu’il a brisées.

    Lors de ma rencontre avec Mistral au Salon du livre de Montréal de 2004, j’étais à ce point terrifiée que ma réaction fut de la gratitude (de la gratitude, oui!) simplement parce qu’il ne m’avait pas attaquée comme je le craignais tant. Ma peur m’empêcha de voir les choses telles qu’elles l’étaient réellement. Le fait est que cette scène d’un pardon quémandé du bout des lèvres, dans un souffle viné, se déroulait devant au moins deux éditeurs reconnus, plusieurs auteurs, au moins un académicien et peut-être quelques critiques littéraires. Je n’ai rien vu alors. Je n’ai vu que du feu, comme on dit. Y croire était si séduisant, quelle belle fin à une si triste histoire ! Une histoire, justement. Ma méprise, étalée sur l’Internet, montre l’aveuglement dans lequel les blessures du passé peuvent parfois nous égarer. Mon témoignage récent à Benoît Dutrizac pourrait servir d’exemple en ce sens: on peut s’être trompée. On peut se reprendre.

    Ce que vous écrivez est pourtant vrai. Le pardon est un risque, le risque d’aller au-delà de soi-même et de faire le saut vers la vie, c’est un acte de foi en l’humanité. Mais si je peux me permettre d’apporter une petite précision… le problème, voyez-vous, c’est quand la vie elle-même nous est étrangère parce qu’on est blessé(e). On suit alors une route qui s’appelle la survie. Une personne blessée marche le chemin de l’existence dans une tranchée parallèle, boueuse, glissante et jonchée de mines. Ce faisant elle échange et tente de participer à la discussion de la majorité qui, elle, enjambe plus haut une voie dégagée. Les conversations portent sur le bruissement des arbres, le vol d’un oiseau, la cime d’une montagne à atteindre à l’horizon. De la tranchée on ne voit rien de tout cela. La tranchée est sombre, humide, froide et bouchée. Cependant, on s’efforce d’imaginer ces choses simplement pour ne pas être exclus de la discussion. Malheureusement tout en faisant cela on ne voit plus la tranchée, on finit par ne plus savoir qu’on y est. Et c’est là le danger. Car dès qu’on ne considère plus qu’on est dans une situation inacceptable, on vient de s’ôter tout moyen de s’en sortir. S’il n’y a pas de problème, on n’a pas besoin de solutions.

    Trop souvent on prône le pardon à gauche, à droite, avec l’effet pervers que des chances de guérison des victimes s’en trouvent éclipsées. Les victimes sont parmi nous et le tabou empêche de faire voir qu’elles marchent dans des tranchées innommables qu’on ne souhaiterait pas même à ses ennemis.

  14. Christian Mistral a écrit:

    Marie, Marie, Marie… Je suis vieux et gaga, maintenant, et c’est sans doute pourquoi je ne comprends rien de ce que tu viens d’écrire.

    Sauf cette histoire d’excuses en 2004, que tu qualifiais toi-même d’incroyable. Il est vrai que tout s’est déroulé devant témoins, dont Jacques Lanctôt, et personne hormis toi ne m’a entendu m’excuser. Je n’ai aucune excuse pour toi que je n’ai jamais, jamais, jamais frappée. Je n’ai pas non plus brisé de vies. J’ai fauté autrefois, j’ai été condamné, j’ai fait de la prison. Quel repentir supplémentaire exige-t-on? Faut vraiment que tu débarques, Marie. Ça va faire vingt ans. Une affaire de trois mois!

  15. Maurice Thunder a écrit:

    Je découvre cette page seulement aujourd’hui. Je voulais simplement dire que M. Mistral ment. Il se trouve que j’étais présent au Salon du livre et que j’ai été témoin de ses excuses à Mme Taggart.

≡ Soumettez votre commentaire