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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Jour 10: Norwegian Wood, this bird has flown

J’ai bien failli rater mon vol pour Amsterdam et conséquemment la correspondance pour Bergen. Voilà qui devrait peut-être m’inciter à ne plus me fier à ces trop bons samaritains que la vie place parfois sur notre chemin. Ben, le taximan maghrébin qui m’avait ramené de la Cour Saint-Émilion à Odéon hier soir, m’avait pourtant promis d’être à la porte du Stanislas à précisément 8h45 ce matin. Il ne s’est jamais pointé, le scélérat! Avec pour résultat que j’ai attendu près d’une heure l’autre voiture que M. Alex, le patron de l’hôtel, a réussi de peine et de misère à me dénicher chez une autre compagnie de taxi. Peutr-être parce que j’ai le cul béni, ce chauffeur-là (un exilé haïtien du nom de Lubin) est parvenu à éviter tous les bouchons parisiens pour me déposer en quarante minutes pile à l’entrée du terminal 2F de l’aéroport Charles de Gaulle une demie heure avant le décollage — ce qui était juste mais suffisant pour m’enregistrer, déposer ma valise, passer le contrôle de sécurité et courir à toutes jambes vers le quai d’embarquement cinq minutes avnt la fermeture des portes de l’appareil. Ouf! Et à peine ai-je terminé de noter tout ça sur mon iPod Touch que déjà nous amorçons notre descente sur Amsterdam. Encore heureux que je ne sois pas un angoissé de nature…!

* * *

En transit, je passe le temps en poursuivant la rédaction de mon carnet sur le petit écran du iPod. Toutes les aérogares du monde occidental se ressemblent, j’en ai la conviction même si je n’irais pas forcément jusqu’à reprendre à mon compte le titre français d’un des polars satiriques de Douglas Adams: Laid comme un aéroport (The Dark Tea Time of the Soul, à l’origine, allez savoir…) Je pense à Bécaud et Brel, qui ont chacun à leur manière chanté Orly. Mais je songe davantage au Grand Jacques qui aurait pu tout aussi bien chanter l’aéroport plutôt que le port d’Amsterdam. Tiens, autant profiter des multiples fonctions de mon gadget, je branche mes écouteurs et sélectionne dans ma discothèque le concert de Brel à l’Olympia en 1964 qui débute justement avec la création d’«Amsterdam».

Feue ma tante Michèle F. Hermann (dont le souvenir ne m’a guère quitté depuis une semaine, et que me rappellent tous ces voyageurs qui autour de moi conversent dans cette langue si proche de l’allemand) raffolait de Brel. Combien de fois n’avons nous pas, elle et moi, entonné en choeur «Les Bourgeois», «Jef», «Au suivant» ou quelque autre chanson paillarde, assis dans la cour arrière de sa maison de Klarenthal, par soirs de bouffes bien arrosées? Enfant, je l’avoue candidement, je n’étais pas fanatique de ce petit bout de femme au tempérament bouillant et autocratique, qui nous avait littéralement terrorisés lors de ses visites à Jonquière. Il avait fallu ce premier séjour de deux mois en Europe, il y a bientôt vingt ans, pour que j’apprenne à connaître, à comprendre et à aimer l’exubérant personnage à qui je reprochais jadis de m’avoir volé ma soeur en 1978 en rapatriant unilatéralement en Allemagne sa fille adolescente Joëlle, qu’elle avait confiée à mes parents alors qu’elle était encore bébé.

* * *

À bord du vol Amsterdam-Bergen, deux demi sandwiches et un quart de merlot plus tard, au son des «Jardins du Casino», je continue d’égrener du bout des pouces ce chapelet de réminiscences, sans doute pour mieux tromper quelques contrariétés de mon quotidien montréalais qui ont dini par me rejoindre par-delà les océans.

Et tandis que Brel attaque maintenant «À mon dernier repas», je revois une scène évoquée hier par Aline, l’un des trois «Madame Péan» qui m’accompagnaient au traditionnel banquet des 24 heures du livre du Mans, en 1995: Fraü Doktor Hermann avait rejoint le groupe haïtien qui assurait l’animation musicale de la soirée cette année-là et chantait à gorge déployée des airs du folklore vodou. Et même mon collègue Joël Des Rosiers, d’ordinaire plus réservé. avait trouvé place au sein des musiciens, derrière un tambour sur lequel il marquait vaillamment le rythme, histoire de mettre les esprits de la Guinée ancestrale au défi de se manifester dans cette auguste enceinte du Moyen-Âge français.

Aybobo! Sacrée Michèle, qui ne passait jamais inaperçue nulle part! Comment lui dire adieu? me demandé-je, citant du coup le titre d’une autre de ces chansons françaises qu’elle appréciait tant.

Tiens, le pilote vient d’annoncer que nous approchons de notre destination finale. Il vaut mieux conclure ce billet que je mettrai en ligne sitôt arrivé à mon hôtel.

May 26th, 2010
Catégorie: Commentaires, Réflexions Catégorie: Aucune

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