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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Jean-Claude Duvalier, comme si de rien était…

Lorsque le 31 décembre dernier j’ai formulé le désir de tourner la page sur l’horrible année 2010, je n’entendais pas par là revenir sur ces autres pages tout aussi lugubres comme c’est le cas en Haïti, pays qui me semblait avoir manifestement connu son lot de déveines l’an dernier. La semaine dernière, par pudeur, j’ai décliné toutes les invitations qu’on m’a lancées ces jours derniers pour que je joigne ma voix à celles qui se faisaient entendre au sujet du sinistre premier anniversaire que l’on sait.

Je me suis tu parce que je savais que je n’avais pas grand’chose de pertinent à ajouter à ce que j’écrivais dans Le Devoir du 17 novembre; n’ayant pas mis les pieds au pays après mon voyage avorté du 13 janvier dernier, n’ayant ni la possibilité ni l’intention d’y aller dans les prochaines semaines ou les prochains jours, je voyais mal quel témoignage je pourrais raconter qui ne soit assujetti à la couverture médiatique internationale — en dehors de ma modeste opinion toute subjective et un brin détachée de l’expérience quotidienne du drame haîtien, auquel par ailleurs je fais écho dans mon roman Bizango à paraître ce printemps.

Seulement voilà que l’infâme Jean-Claude Duvalier est rentré à Port-au-Prince après un quart de siècle d’exil doré sur la Côte d’Azur et dans la ville-lumière comme si de rien était, sans être le moindrement du monde interpellé par les autorités locales, dans son bon droit d’expatrié qui à l’instar de n’importe quel Haïtien qui a vécu le déracinement à l’étranger et qui a le droit de revenir chez lui.

Mamie, l’hiver est à l’envers, ainsi que le chantait Ferland, et s’il n’a pas encore neigé à Port-au-Prince, j’ai désormais l’impression que ça ne devrait plus tarder, bordel? Y aura-t-il quelqu’un pour nous expliquer posément, sans rire, de quel bon droit l’ex-tyran-à-vie, fils du défunt tyran-à-vie, perpétuateur d’un des régimes politiques les plus corrompus, brutaux, répressifs et sanguinaires de l’histoire de l’Amérique peut-il revenir sur le théâtre de ses crimes sans que l’État haïtien (ou ce qu’il en reste) émette un mandat d’arrestation à son nom et le traîne en cour pour les exactions commises par ses complices et lui dans l’exercice de ses fonctions présidentielles? Quand avec ses larmes de crocodile ce mécréant avait en 2007 demandé pardon au peuple haïtien, le président René Préval avait répondu quelque chose à l’effet que la justice prévaudrait sur le pardon; comment expliquer aujourd’hui le silence de ce pleutre fourbe sur le retour au pays de Jean-Claude? Et n’y aura-t-il aucune figure politique en Haïti ou sur la scène internationale pour réclamer que Baby Doc soit jugé pour les horreurs dont il est responsable?

Je suis outré. Je suis en colère. Aux informations télévisées ce matin, on faisait état des supporters et des ex-compagnons d’armes qui se réjouissaient du retour de Baby Doc en sa moitié d’île comme de l’avènement du Messie, venu pour aider selon ses propres dires. Foutre! Pas étonnant qu’André Breton se soit senti en terre surréaliste lors de sa visite en Haïti il y a soixante-dix ans! Le réalisme merveilleux des Haïtiens n’a-t-il vraiment aucune limite?

January 17th, 2011
Catégorie: Commentaires, Nouvelles, Réflexions Catégorie: Aucune

4 commentaires à propos de “Jean-Claude Duvalier, comme si de rien était…”

  1. Stefan Psenak a écrit:

    Je partage ton indignation, mon frère. Il faut que la diaspora et la communauté internationale se fassent entendre et réclament justice. Je te laisse sur ces mots de Marguerite Yourcenar, forts à propos: « La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné, où gisent sans honneurs des morts qu’ils ont cessé de chérir. »

  2. Lucie B. a écrit:

    Je n’ai pas la réponse à la motiviation de Duvalier de retourner là d’où il s’est enfui pour se la couler douce. Vous lire, monsieur Péan, m’a fait penser à… «on revient toujours sur les lieux du crime!»

    Sans vouloir rire du tout, parce que je ne trouve rien de drôle dans le subit désir duvalien d’aider un peuple qu’il a si facilement blessé, volé, humilié, trahi et fait souffrir, je me suis souvenue de la croyance d’Alice Miller qui dit que ces brutes de dictateurs sont des adultes inconscients, donc pas des adultes du tout, qu’ils sont restés des enfants blessés qui se vengent sans cesse et sans relâche de leur vécu d’enfant en répetant les mêmes horreurs. C’est simplet comme réponse vous me direz, mais pas si simple d’être conscient de nos souffrances d’enfant afin de s’en servir à bon escient.

    Avec cette réponse je veux faire hommage à la conscience, mais également faire hommage à la colère que vous ressentez, Stanley, je suis de ces personnes qui pensent que la colère, celle qui procure l’énergie pour construire, pas celle qui détruit tout sur son passage, devrait avoir une grande mais grande place au coeur du social. Je Je souhaite donc que cette colère qu’on n’ose même plus ressentir de peur de…., sorte de nos écrans, de nos écritures, de nos ateliers, qu’elle se fasse entendre, se fasse voir, même si elle dérange, pour qu’un jour les choses finissent par changer vraiment.

    Soyons donc en colère! quand c’est vital et nécessaire.

    Je veux terminer avec mon soulagement de voir que les Haïtiens sont en colère aussi et qu’ils ont osé le mettre en état d’arrestation.

  3. Serge Bruneau a écrit:

    Bonjour Stanley,

    Quand j’ai appris son retour, les bras me sont tombés. Quand je voyais le gouvernement ne rien foutre, c’était l’incompréhension. Sont venues les accusations et je me demandais pourquoi ce porc s’était ainsi jeté dans la gueule du loup. Voilà que le chat sort du sac à ordures. Ce grotesque tueur en série, cet infâme tortionnaire, ce voleur perfide songe donc à la présidence.

    La mégalomanie atteint ici des sommets.

    Le peuple haïtien n’étant pas dupe, souhaitons que les tontons magouilles soient vite écrasés.

    Tu voulais, avec raison, prendre quelques distances de cette année 2010 plus qu’éprouvante.

    Malheureusement, c’est encore la droite qui dicte l’agenda.

  4. ghyslaine a écrit:

    Oui, vous avez raison, c’est très très étonnant, c’est révoltant même pour qui n’a pas vécu dans ce pays, ni subi ces horreurs. Mais nous connaissons tous quelqu’un qui est sorti de ce pays pour conserver la vie. Il faut qu’il se passe quelque chose absolument et qui va bouger..

    ghys.

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