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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Haïti en trois temps… et Alexis en tout temps

Jacques Stéphen Alexis et des camarades chinois (Photo de Gérard Bloncourt, 1961)

Jacques Stéphen Alexis et des camarades chinois (Photo de G. Bloncourt, 1961)

Tellement pris par mes activités diverses (dont les dernières étapes de la production de Bizango n’étaient pas les moindre), j’ai encore négligé ce mois-ci la tenue de ces carnets. Je n’y ai pas, par exemple, mentionné la série de trois conférences que je présente depuis le 15 février dernier à raison d’une par semaine dans le cadre des Belles Soirées de l’Université de Montréal. Dans cette série intitulée «Haïti en trois temps», je proposais une initiation à l’Histoire politique, sociale et culturelle de mon pays natal. La semaine dernière, pour le bénéfice de la soixantaine de personnes assemblées dans le petit auditorium pour m’entendre, j’ai fait un survol des étapes de la construction et de la déconstruction de la nation et de l’État d’Haïti. Ce mardi, j’abordais deux siècles de littérature haïtienne en français et en créole, de l’intérieur comme de l’extérieur. Et la semaine prochaine, je parlerai d’arts visuels et de musique.

Si je le mentionne aujourd’hui, c’est moins pour m’en glorifier que  pour signaler cette lettre ouverte de l’exemplaire Jacques Stephen Alexis à François Duvalier, datée de juin 1960, dont je ne connaissais pas l’existence et qui a été republiée il y a un mois dans les pages de l’hebdomadaire Haïti Liberté, sous la rubrique «Remontons le cours de l’Histoire». C’est l’un des fidèles auditeurs de mes conférences qui me l’a amenée cette semaine et comme je l’ai partagée avec tout le groupe mardi, j’entends bien la partager avec les lecteurs et lectrices de ce blogue. Il y avait là matière à alimenter davantage mon admiration déjà immense pour cet écrivain fondamental du XXe siècle; alors, au lendemain du retour en Haïti de l’infâme héritier de Papa Doc, je vous incite à lire la prose flamboyante et courageuse de l’auteur des Arbres musiciens.

Pétion Ville, le 2 juin 1960

À son Excellence
Monsieur le Docteur François Duvalier
Président de la République
Palais national

Monsieur le Président,

Dans quelques pays civilisé qu’il me plairait de vivre, je crois pouvoir dire que je serais accueilli à bras ouverts; ce n’est un secret pour personne. Mais mes morts dorment dans cette terre; ce sol est rouge du sang de générations d’hommes qui portent mon nom; je descends par deux fois, en lignée directe, de l’homme qui fonda cette patrie, aussi j’ai décidé de vivre ici et peut-être d’y mourir. Sur ma promotion de vingt-deux médecins, dix-neuf vivent en terre étrangère. Moi, je reste, en dépit des offres qui m’ont été et me sont faites. Dans bien des pays bien plus agréables que celui-ci, dans bien des pays où je serais plus estimé et honoré que je ne le suis en Haïti, il me serait fait un pont d’or, si je consentais à y résider. Je reste néanmoins. []

Dois-je rappeler que Jacques Stéphen Alexis est mort assassiné par le régime, pour avoir voulu organiser un mouvement d’insurrection au printemps de 1961.

February 24th, 2011
Catégorie: Événements, Lectures Catégorie: Aucune

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