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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Droit d’auteur et prises de position idéologiques

Hier matin, au quartier général de l’UdA, je participais avec une centaine de collègues — des auteurs, compositeurs, interprètes (ou les trois) et d’autres artistes touchés par l’infâme projet de réforme de la loi canadienne sur le droit d’auteur déposé par les Conservateurs — au point de presse qui précédait l’intense journée de manifestation organisée pour sensibiliser l’ensemble de la députation aux enjeux et aux dangers que représentent C-32 pour les principaux intéressés dans les dites industries culturelles.

Parlons peu mais parlons bien, comme dit souvent ma mère. On ne le dira jamais assez: sous prétexte de faire quelques économies de bouts de chandelle, en introduisant une quarantaine de nouvelles exceptions dans la loi sur le droit d’auteur, le législateur travaille à l’appauvrissement de celles et ceux qu’il devrait au contraire protéger (les créateurs) et, au mépris de la raison et du bien communs, met en péril le concept même de propriété intellectuelle.

À ce sujet, on lira mon édito dans le plus récent numéro du Libraire ou, mieux, l’exemplaire lettre d’opinion de l’ex-ministre du Patrimoine canadien, Liza Frulla («Pas de culture sans auteurs»), publiée dans Le Devoir d’hier. Nonobstant son appartenance à la grande «famille» libérale fédérale, je ne peux m’empêcher de penser que l’actuel titulaire de ce porte-feuille, James Moore, fait vraiment piètre figure à côté de cette grande dame. Et pour citer une savoureuse intervention de Claude Robinson hier, j’ajouterai que quelqu’un devrait peut-être un jour expliquer à M. Moore (qui ne semble pas très au fait de la chose culturelle) qu’il est ministre du Patrimoine et non ministre de l’industrie et du commerce…

Évidemment, à l’UdA hier comme partout où j’ai croisé des créateurs depuis la semaine dernière, il a été question de ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’«affaire Courtemanche-Archambault», sur laquelle on sollicite constamment mon opinion. Résumons-nous: ayant appris que son plus récent roman était en lice pour le prix Archambault, un prix du public parrainé par la chaîne de librairies appartenant à Quebecor, Gil Courtemanche a annoncé par voie de communiqué (il était à Québec ce jour-là), la veille de la conférence de presse où devaient être dévoilés les noms des autres finalistes, qu’il refusait de voir son nom associé d’aucune manière que ce soit à ce prix, compte tenu du comportement de Quebecor à l’égard des syndiqués du Journal de Montréal en lock-out depuis bientôt deux ans.

Depuis l’annonce de cette nouvelle, on raconte tout et n’importe quoi sur le compte de mon ami Courtemanche, dont j’ai pour ma part applaudi le geste. Faisant abstraction de ses convictions plusieurs fois énoncées au fil de ses chroniques dans Le Devoir, on a par exemple prétendu qu’il avait choisi de faire ce coup d’éclat pour mousser sa gloire médiatique, qu’il jouait les Don Quichotte au détriment de la littérature québécoise, que son geste avait quelque chose de méprisant pour les autres finalistes auxquels il intimait l’ordre péremptoire de faire comme lui, qu’il aurait dû attendre de voir s’il gagnait le prix pour ensuite offrir la bourse aux lock-outés du JdM (comme si 10 000$ pouvaient changer quoi que ce soit à la situation des 250 employés jetés à la rue cavalièrement par PKP depuis deux ans), qu’il devrait pour rester cohérent interdire la vente de ses livres dans le réseau Archambault, etc. Étonnamment, dans le brouhaha médiatique qui entoure l’affaire depuis une semaine, le propos le plus intelligemment articulé sur la question m’a semblé celui de… Nathalie Petrowski dans La Presse! (Faut le faire! Qui l’eût cru?)

Étant de ceux que Gil a consultés quelques semaines avant toute cette controverse, alors qu’il cherchait un moyen de connaître le nom des autres finalistes pour prendre contact avec elles et eux histoire de les aviser au moins de son intention, voire en associer le plus grand nombre à sa démarche, je peux certifier que l’auteur d’Un dimanche à la piscine à Kigali n’a pas posé son geste à la légère et qu’il ne l’a surtout pas fait avec le moindre mépris pour les autres écrivains, vétérans ou novices, en lice. Ce n’est qu’après avoir constaté qu’il lui était impossible de passer outre le mur de confidentialité qui entourait la liste des noms qu’il a décidé d’agir seul. Mais à aucun moment n’a-t-il ressenti le moindre mépris pour celles et ceux qu’il estimait libres de l’épauler ou non. Je suis même certain qu’il n’en éprouve toujours pas le moindre.

Comme l’a écrit Jean Barbe, la vie n’est jamais simple, pour les créateurs comme pour l’ensemble de leurs concitoyens. Et cette controverse aura au moins servi à illustrer combien il est périlleux et complexe de prendre une position idéologique tranchée dans un monde où les plus cyniques continuent de tenir le haut du pavé après avoir décrété la futilité des convictions, l’inutilité des combats pour les principes. Pour ma part, sans poser le moindre jugement sur les choix individuels des autres écrivains en lice pour les prix Archambault, je persiste à applaudir Gil Courtemanche.

December 1st, 2010
Catégorie: Commentaires, Événements, Réflexions Catégorie: Aucune

12 commentaires à propos de “Droit d’auteur et prises de position idéologiques”

  1. Patrick de Friberg a écrit:

    Bravo de préciser ta pensée… Mais dans tout cela, Courtemanche se situe dans le camp des nantis au ventre plein de publications et d’honneurs… Déconnecté par son gras – largement mérité – il n’a pas pensé à sa réaction si on lui avait gâché son premier honneur… Tiens, il me fait penser à ses riches occidentaux, derrière leur climatisation, qui vont donner des leçons de vie à un père dont la fille se meurt du choléra. Courtemanche aurait dû accepter ce prix par respect envers les “jeunes” artistes qui méritent aussi une place au soleil. Après, seulement, il aurait pu parler et dénoncer et là, beaucoup comme moi l’auraient suivi.

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  2. Philippe Laloux a écrit:

    Un peu dur ce commentaire, Patrick. C’est Courtemanche tout de même, un auteur au dessus de tout soupçon (“riche occidental qui va donner des leçons de vie”) en ce qui a matière à la récupération médiatique. Il est consternant d’entendre lui reprocher d’avoir moussé sa popularité par ce geste. D’autant qu’il ne l’a pas gagné ce prix, rien n’indique qu’il l’aurait eu et aurait donc profité de cette tribune pour nous entretenir de ses pensées envers les “lock-outés” du JDM.

    J’admire son geste, moins d’avoir invité les autres à le suivre de cette manière. Lisons-le, le meilleur moyen de le comprendre.

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  3. Annie Cloutier a écrit:

    (L’emploi du féminin inclut le masculin.)

    L’attention médiatique portée aux critiques du geste de monsieur Courtemanche a été telle qu’il s’est rapidement retrouvé dans la position de celui qui a commis une mauvaise action. Pour ma part, je ne connais pas monsieur Courtemanche, mais je salue la noblesse de son geste. J’espère avoir le courage de faire passer la solidarité et la nécessité de la dénonciation avant mon intérêt personnel, si l’occasion s’en présente un jour. (Je suis loin d’être convaincue d’avoir cette grandeur d’âme le moment venu.)

    Certaines auteures et éditrices ont fait valoir que la notoriété et l’argent liés aux prix permettent d’établir des carrières littéraires, et qu’il est donc malvenu de cracher dans la soupe. Cet argument me semble fallacieux en trois manières :

    – L’intérêt personnel ne peut être invoqué sur des questions de principe.
    – Pour une auteure qui a remporté le prix, cent n’ont jamais été, et ne seront jamais en nomination. La capacité du prix à soutenir le démarrage des carrières est tout à fait marginale.
    – Il n’appartient pas à Quebecor, ni même à sa filiale Archambault, de soutenir des carrières d’éditrices ou d’écrivaines.

    Plusieurs auteures et éditrices ont poussé des hauts cris devant le souhait (j’insiste sur le mot, il est crucial) exprimé par Courtemanche : que d’autres auteures posent le même geste que lui. Ces auteures et éditrices ont vu là du mépris à leur endroit, voire une atteinte à leur liberté ! Ces réactions émotives illustrent que la grandeur morale menace la satisfaction que nous avons de nous-même, plutôt que de l’inspirer. Je suis d’accord pour dire que toute personne a le droit de demeurer « indifférente », « non-alignée » ou « neutre » devant n’importe quel conflit. Mais ce non-alignement personnel n’empêche pas de saluer l’engagement d’un autre ! Approuver et louer le geste n’oblige personne à poser le même. Approuver et louer le geste oblige à réfléchir à nos propres valeurs, à notre propre capacité d’agir en notre âme et conscience. Il n’y a là aucune « logique binaire ».

    Appeler à l’action collective est une stratégie normale et saine. La plupart des gestes dénonciateurs sont bien mal efficaces lorsqu’il demeurent isolés. Le souhait de monsieur Courtemanche n’est que l’expression de son désir de véritablement ébranler Quebecor. Y voir du mépris envers celles qui rejettent l’appel n’illustre au fond que notre malaise devant ce principe de « liberté d’inaction ».

    Car depuis quand la résistance brime-t-elle la liberté ? Depuis quand l’héroïsme, même relatif, constitue-t-il une mauvaise action ? Nous gémissons constamment sur notre sentiment d’impuissance. Nous signons des pétitions peu compromettantes sur facebook en faveur de moratoires ou de démissions. Mais lorsqu’il s’agit de nous montrer véritablement solidaires et désintéressées, lorsqu’il s’agit de soutenir celles qui osent dénoncer, alors nous resserrons nos confortables rangs et nous ne faisons rien.

    Attaquer un geste posé en toute honnêteté et avec courage ne montre au fond qu’une chose : notre propre faiblesse au moment de prendre des décisions difficiles. Nous ne devrions pas fustiger le geste de Courtemanche, mais bien l’élever en exemple pour nous en inspirer lorsqu’à notre tour, nous aurons à refuser les nananes de l’establishment.

    Annie Cloutier

  4. Frédéric Cardin a écrit:

    Bien dit, Annie. Franchement, je l’ai toujours dit, le cynisme est largement sur-évalué de nos jours. Il donne l’occasion à trop d’insignifiants de se revêtir de l’habit de «penseurs» et «critiques». J’applaudis Gil Courtemanche. Même s’il est “nanti”, il n’est pas obligé de sombrer dans les tares que cet état impose à trop de ses congénères: le conformisme complaisant. Patrick laisse sous-entendre (involontairement peut-être) qu’il est louche d’agir autrement que ce que les conventions sociales et les préjugés sociétaux imposent aux individus, selon leur niveau socio-économique. Donc, si on est pauvre, on mendie et on chiâle, et si on est nanti, on vote conservateur et on se la ferme devant les multinationales? Si on est occidental, on doit se flageller pour tous les maux que l’on a créés, devant les «bons sauvages», purs et vierges de toute mauvaise influence avant de nous rencontrer?

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  5. Patrick de Friberg a écrit:

    Frederic, belle dialectique… la lutte des classes en plus. Je n’ai jamais parlé de richesse, de pauvres ni de riches. Je parle du non respect d’un “nanti en honneurs et publications – largement mérités -” pour ses camarades qui publient pour la première fois et sont si heureux d’être primés. Le combat idéologique ne m’intéresse pas ici, c’est celui de la décence et de l’humilité.

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  6. Frédéric Cardin a écrit:

    Patrick, M. Courtemanche a refusé le prix, point à la ligne. Il n’a jamais empêché les «jeunes» de le recevoir, ni contesté la validité de leurs oeuvres, si elles sont primées. Il a posé un geste personnel, qu’il pouvait se permettre, certes. Mais ça n’enlève rien à la portée intellectuelle du geste, d’autant plus que le lock-out mécréant de Québécor et de son chef qui «agit comme un voyou» semble laisser indéfférents trop de monde au Québec. Je continue donc de dire bravo à Gil Courtemanche, et de n’y voir aucune irrespectuosité envers la relève littéraire. Bien au contraire.

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  7. Sylvain Meunier a écrit:

    Le prix “Communications et Sociétés” 2010 a été attribué à mon roman jeunesse “La tourterelle triste”. C’est un prix donné par des cathos, et ce sont des évêques qui le remettent en personne. Je m’en confesse aujourd’hui, je ne l’ai pas refusé. Suis-je ainsi devenu complice des pédophiles? Malgré tout le mépris que j’ai pour les gens de robe, je ne peux les empêcher d’apprécier ce que j’écris. Si, avec le prix, j’avais touché une bourse (ce n’est pas un double sens) j’aurais pu le remettre à une association de lutte contre la pédophilie, ou à une société d’athées, mais y’en avait pas (juste une jolie gravure).

    Je doute que le geste eût attiré beaucoup d’attention.

    Il est évident que la notoriété de Courtemanche est pour beaucoup dans la polémique.

    Pour en revenir à moi, je ne m’étais pas rendu à la cérémonie de remise du prix, il n’y a donc pas de photos déshonorantes de moi serrant des mains baguées.

    Les finalistes et le ou la gagnante pourraient donc ne pas se présenter à la cérémonie du prix Archambault, pour ne pas risquer d’être photographié en compagnie de PKP, ce qui serait éloquent.

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  8. Pierre Cappiello a écrit:

    Et voici un autre « éclairage » :
    http://www.ruefrontenac.com/spectacles/188-medias/30702-courtemanche-appui

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  9. Étienne Lalonde a écrit:

    Bravo, voilà un bon retour sur le plancher des vaches.

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  10. Daniel Dubé a écrit:

    Je viens de vous lire et, comment dire, je partage entièrement votre point de vue. Votre conclusion est on ne peut plus juste!

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  11. Frédéric Cardin a écrit:

    Bien sûr, Rue Frontenac en veut à ceux qui n’imitent pas le geste de Gil Courtemanche, et on peut les comprendre. Je ne suis pas aussi tranché. La cause de Roy Dupuis est bonne, et je le comprends, lui aussi, de l’avoir assez à coeur pour qu’elle obtienne le plus de visibilité possible (tout comme les écrivains qui reçoivent et méritent leur prix d’ailleurs). LE VRAI PROBLÈME, c’est que des centaines de milliers de gens l’achètent le journal! Encore! S’ils ne l’achetaient plus, ça ne servirait à rien d’aller y plaider quelque cause que ce soit!

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  12. Hélène Frédérick a écrit:

    Mes remerciements pour ce billet plus que bienvenu, et je salue aussi le geste de Gil Courtemanche. Pourquoi doit-on imaginer de la couardise ou de l’hypocrisie derrière un choix courageux, qui ne fait que prouver l’intégrité de celui qui le pose? J’avoue ne rien comprendre à ces réactions. Comme si en posant un geste digne, on cherchait forcément à faire passer les autres pour lâches…

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