stanleypean.com


Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Comment est votre blanquette…?

Excédé par l’agitation autour de lui de ces adultes qui n’en finissent plus d’épiloguer sur le sort des parents, des amis, des proches qui habitent ou séjournent en Haïti et dont on cherche désespérément à avoir des nouvelles, mon fils Philippe (bientôt 5 ans) a eu dimanche soir un bon mot plein de candeur attendrissante:

— Tu sais, papa, à Teletoon, il y a des dessins animés, des annonces, mais on ne parle jamais de tremblement de terre.

À la suggestion d’une «amie» Facebook (qui manifestement ne me voulait pas du bien!), je suis retourné au blogue de Richard Martineau dont le niveau de réflexion ne s’élève manifestement guère au-dessus de celui de mon Phil. Hier, le Ricky Martin de l’analyse socio-politique déversait une nouvelle couche d’âneries sur le compte du peuple haïtien hier, en attirant l’attention de ses ouailles sur le fait incontestable que, nonobstant les problèmes d’ordre politique qui ont jalonné l’histoire d’Haïti (passé colonial, occupation américaine, dictature et incompétence générale de la classe dirigeante), les malheurs des Haïtiens et Haïtiennes, la pauvreté endémique qui sévit chez eux, auraient pour principale cause… tenez-vous bien… leur mysticisme. Évoquant le soir où Barack Obama avait accepté l’investiture démocrate (soir que Martineau aurait passé dans le sous-sol d’une église de Little Haiti, à Miami) et se référant soi-disant à des intellectuels haïtiens dont il se garde pourtant de citer les noms, le scribouilleur de Quebecor Media écrit :

On a toujours l’impression que les Haïtiens attendent un SAUVEUR qui pourrait les sortir de la misère.

Si ce n’est pas Duvalier père ou fils, c’est Aristide…

Ils attendent toujours LE Messie avec un grand M.

[…]

Cela n’expliquerait pas pourquoi ils ont toujours tendance à remettre leur destin dans les mains d’un dictateur?

Ce mysticisme aveugle m’a toujours paru contre-productif et anti-démocratique…

Un peuple qui s’en remet toujours à un Sauveur Omniscient et Omnipotent est un peuple qui ne se prend pas en main…

Passons sur cette inculture crasse, cette méconnaissance totale de l’Histoire qui lui fait écrire, assez inélégamment d’ailleurs, que les Haïtiens ont toujours tendance à remettre leur destin entre les mains d’un dictateur — comme si les dictateurs accédaient au pouvoir légitimement. N’oublions pas après tout qu’il s’agit du même penseur qui, dans une précédente chronique parue en 2008 à pareille date, faisait de la Révolution tranquille québécoise amorcée dès le début des années 60 (avec la nationalisation de l’électricité, la publication du rapport Parent de 1963-1964 et la subséquente réforme de l’éducation, les premiers pas vers la laïcisation de la vie publique) une sorte de produit dérivé des événements de mai 68 en France, oui, monsieur!

En le lisant ce matin, m’est revenue en tête cette savoureuse scène du plus récent volet des aventures de l’agent O.S.S. 117, Rio ne répond plus. Cherchant à rattraper ses bévues auprès de Dolorès, une espionne israélienne qu’il a froissée avec son comportement, le héros (sublimement incarné par Jean Dujardin) tente maladroitement de faire amende honorable pour avoir osé miniser la gravité de la Shoah et avoir témoigné de préjugés antisémites:

— Ah, mais ne vous tracassez pas, de le rassurer la belle. De toute évidence, il n’y avait pas de méchanceté. Vous n’êtes pas le premier, vous n’êtes pas le dernier à dire une bêtise. Notre peuple [Les Juifs] a toujours nourri beaucoup de fantasmes…

— Ah ben voilà! de triompher l’intrépide agent français. Merci de le reconnaître. Comme je dis souvent, vous avez forcément une petite part de responsabilité. Sans vouloir…

En somme, je m’en aperçois mieux maintenant, Richard Martineau, c’est l’O.S.S. 117 de la presse d’opinion québécoise — le charisme et le talent comique de Dujardin en moins, il va sans dire.

Et le pauvre de se demander sans doute encore pourquoi Dany Laferrière lui avait un jour reproché de vivre intellectuellement au-dessus de ses moyens!

January 19th, 2010
Catégorie: Commentaires, Lectures Catégorie: Aucune

6 commentaires à propos de “Comment est votre blanquette…?”

  1. RBouchard a écrit:

    Évite de comparer l’intelligence de ton Philippe à Martineau. De grâce! C’est désobligeant pour ton fils.

  2. Cauchie Jean-Luc a écrit:

    Pour sortir de la pensée blanche unique des censeurs conservateurs de tout poil, je recommande la vision de l’émission “Ce soir ou jamais!” du 18 janvier sur France 3 consacrée entre autres à Haïti, mais aussi à la vision blanche sur la “négritude” en général. On y apprend entre autres le rôle central dans l’histoire de personnages comme Toussaint Louverture… Et les failles béantes qui existent à ce sujet dans notre culture historique occidentale qui, agissant comme un subconscient, a refoulé les épisodes historiques pouvant remettre en cause la certitude de notre toute puissance quasi biblique… Pour des raisons politiques au départ, par oubli par la suite…

    Voici le lien:
    http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/?page=emission&id_rubrique=923

  3. Stanley Péan a écrit:

    Rassure-toi, Roxanne; c’est une figure rhétorique. J’ai bon espoir pour Philippe, dont le vocabulaire est déjà pas mal plus riche que celui du scribouilleur et qui apprend déjà à argumenter avec rigueur. Comme quoi, avant cinq ans, avec un peu d’encadrement intellectuel, on peut aller loin… Alors qu’à l’orée de la cinquantaine, si on n’en a jamais eu…

    Merci pour le lien, M. Cauchie.

  4. Marie J. Pigeon a écrit:

    Bravo Stanley – pour l’écorchure de Richard mais aussi de Quebecor au passage !
    Ton Phil me fait penser à un incident qui était arrivé alors que mon filleul de 5-7 ans passait ses étés à Sherbrooke. Les nouvelles à la radio ont parlé pendant quelques jours de la disparition d’un de ses amis en Abitibi. Ma mère nous faisait taire pour écouter les nouvelles et il appréciait beaucoup car il s’inquiétait. Il n’avait pas encore compris que les nouvelles, ça suit l’actualité de très proche et que sa grand-mère nous fait toujours taire pour écouter les nouvelles. Quand la disparition ne fut plus une nouvelle et que le silence accompagnait quand même le bulletin radio, il en fut très bouleversé.

  5. Marjorie a écrit:

    Pourquoi lire Martineau ?

  6. Stanley Péan a écrit:

    Pour répondre à votre question, Marjorie, il va sans dire que je pourrais faire l’économie de la lecture des inepties de cet amuseur public. L’ennui, c’est qu’il a un rayonnement et une influence sur nos concitoyens qui nous interdisent de faire abstraction de la pollution de l’aire publique à laquelle il contribue avec un cynisme à donner froid dans le dos.

≡ Soumettez votre commentaire