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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Chasse aux sorcières et ballons blancs

Il y a un moment que je néglige ce blogue, en proie à toutes sortes de petits ennuis d’ordre technique que j’espère voir réglés bientôt. En attendant, je reprends la plume en reproduisant ici le texte d’un billet que j’ai rédigé à titre de président de l’UNEQ en réaction à la «chasse aux sorcières» lancée par la Commission scolaire de Montréal.

* * *

Rover and the Prisoner

La télé américaine présentait récemment une nouvelle version de la série britannique Le Prisonnier. Sans doute vous rappelez-vous l’originale, génial amalgame de Kafka, Orwell et Carroll, avec en vedette le regretté Patrick McGoohan dans le rôle du Numéro 6, un ex-espion qui, au lendemain de sa démission des services secrets de Sa Majesté, se voit incarcéré dans un Village surréaliste où les gens portent un numéro au lieu d’un nom et où on ne peut distinguer les geôliers des détenus, une sorte de paisible colonie de vacances, au périmètre gardé par d’énormes ballons blancs et rugissants. De la nouvelle production, ultra-léchée mais décevante, j’ai retenu un échange entre le Numéro 6 et le Numéro 909, chargé de surveiller leurs concitoyens pour le compte des autorités. « Au fond, tout le monde est coupable, Numéro 6 », d’affirmer candidement son interlocuteur. « Il nous suffit juste de déterminer de quel crime exactement. »

J’ai repensé à ce propos kafkaïen en méditant sur l’obligation désormais faite aux écrivains et aux artistes du programme « La culture à l’école » de montrer patte blanche avant d’entrer dans les institutions d’enseignement. Selon un avis publié par la Commission scolaire de Montréal, tout individu, contractuel inclus, œuvrant auprès d’élèves mineurs ou se trouvant en contact régulier avec eux devra fournir avant embauche un document de vérification de ses antécédents judiciaires, en s’adressant exclusivement à l’une des quatre firmes retenues par la Commission, et ce au coût de 80 $. Il s’agirait, conformément au souhait du gouvernement du Québec, d’établir « si le demandeur [en l’occurrence, l’écrivain ou l’artiste invité] aurait été condamné ou mis en accusation pour une infraction criminelle ou pénale, de [vérifier] également s’il a déjà fait preuve d’un comportement faisant craindre pour la sécurité physique ou morale des personnes sous sa responsabilité ».

Soyons clairs : nous parlons de présentations d’une durée d’environ une heure, au cours desquelles les écrivains et les artistes ne sont jamais laissés seuls avec les jeunes, puisque au moins un professeur titulaire est tenu d’y assister.

Alors que redoute-t-on au juste?

Certes, nul n’est contre la vertu. Nous sommes pleinement conscients de la nécessité de protéger nos enfants contre les prédateurs sexuels en cette ère où la pédophilie passe, dans certains cercles, pour l’expression du nec plus ultra de la sensibilité esthétique. Il nous apparaît cependant inacceptable, dans notre système judiciaire qui repose sur la présomption d’innocence, que l’on contraigne des individus à prouver qu’ils ne sont pas coupables de crimes dont on n’ose les accuser formellement.

Il faudra un jour en arriver à aborder le sujet de la pédophilie sans sombrer dans la banalisation et sans non plus enfourcher le destrier des défenseurs puritains de la morale publique. En attendant, nous nous insurgeons contre l’idée que l’on fasse porter le fardeau de la preuve à des écrivains et à des artistes pourtant inscrits dans un programme relevant de l’État, qu’on les ostracise avec une forme inédite de la présomption de culpabilité. Si vraiment quelques fonctionnaires en croisade estiment les jeunes en danger, qu’on instaure un formulaire de plus par lequel les écrivains et les artistes consentent à ce que le ministère de l’Éducation et le ministère de la Culture se chargent conjointement de confirmer qu’ils ont été « approuvés judiciairement ».

Ou alors qu’on équipe nos écoles d’énormes ballons blancs, capables de détecter le degré de culpabilité de ceux qui y entrent…

December 1st, 2009
Catégorie: Nouvelles Catégorie: Aucune

3 commentaires à propos de “Chasse aux sorcières et ballons blancs”

  1. François Migneault a écrit:

    Bonjour monsieur,
    J’ai lu dans le Journal de Montréal votre commentaire sur la chasse aux sorcières faites par la commission scolaire de Montréal à propos de montrer patte blanche avant de s’y présenter.

    Sachez que j’ai oeuvré comme bénévole dans les sports, sur les terrains de jeux et aussi travaillé dans les écoles et quand aucun temps je n’aurais laissé approché un adulte des groupes d’enfants qui m’entouraient sans qu’ils n’aient montré patte blanche. C’est une toute petite démarche à faire à la Süreté du Québec pour obtenir le rapport. Sachant par expérience tout l’impact qu’un adulte peut avoir sur un enfant dans notre société je trouve très malsain de rammener la discussion à un si bas niveau surtout de la part d’un écrivain.

    Arrêter de jouer à la veuve outrée et au démagogue…

    Sachez que tout le personnel, tous les fournisseurs dans les écoles, que tous les bénévoles dans les sports ou autres activités pour les jeunes doivent aussi fournir cette preuve alors…

    D’un père de famille (trois enfants) outré d’apprendre qu’un programme payé de ma poche serve à promouvoir un groupe d’écrivain si peu concerné par la société qui les fait vivre (i.e. achète et lit vos livres ne vous déplaise).

  2. Stanley Péan a écrit:

    Monsieur Migneault,

    La veuve outrée (je suppose que vous vouliez dire «la vierge offensée»)? Le démagogue? Mais on croit rêver.

    Je me réjouis que vous ayez lu ma prise de position en tant que président de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois… et me désole que vous n’en ayez en définitive pas compris les enjeux, la réduisant à une intervention intéressée et démagogique.

    Sachez d’abord que je n’estime pas vivre comme un parasite, aux crochets de la société sans me soucier d’elle, bien au contraire. Cette intervention sur la place publique témoigne de l’inquiétude grandissante que m’inspirent toutes les dérives vers la droite de notre société de plus en plus policée, que vous semblez pour votre part trouver normales.

    Je repète ma question: que redoute-t-on? La Commission scolaire de Montréal a-t-elle constaté que les artistes invités dans ses institutions auraient incité des jeunes au crime? A-t-elle eu vent de cas d’abus sexuels d’enfants par des artistes inscrits au programme «La culture à l’école»? Sinon, pourquoi l’instauration de cette mesure qui les frappe d’ostracisme, alors qu’on laisse entendre d’autre part que la culture (à l’enrichissement de laquelle contribuent leurs oeuvres) est l’objet d’une mission essentielle de l’État (dixit Jean Charest)?

    Je maintiens aussi que, toute généralisée qu’elle soit, cette mesure répressive est contraire au droit commun: dans notre système judiciaire, le citoyen interpellé en justice est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. À la Commission scolaire de Montréal, c’est l’inverse et ça, ça m’inquiète.

    Ceci, de la part d’un écrivain qui n’est pas personnellement touché par la mesure de la CSDM (je ne suis pas inscrit au programme «La culture à l’école» et ne visite donc pas de jeunes en institution scolaire depuis belle lurette!), mais aussi d”un père de famille (deux enfants) rendu perplexe par la perspective de voir la société dans laquelle il vit continuer de se rapprocher des cauchemars de Kafka et Orwell apparemment dans l’indifférence générale.

    Stanley Péan, qui persiste et signe

  3. Gilles Pénissard a écrit:

    Merci, Monsieur Péan, pour votre prise de parole que je crois plus proche de celle de l’homme, du père et de l’écrivain que de celle du président de l’union des écrivains…

    Cette mesure, en plus de me paraitre dérisoire (qui protège-t-on ici et de qui?) est insultante pour le regard qu’elle instaure vis-à-vis des artistes et du monde artistique. Insultante aussi pour nos écoles, dont on accepte qu’elles deviennent le lieu de la suspicion comme tant d’autres lieux déjà autour d’elle.

    Commentaire de la part d’un père de famille imaginaire (zéro enfants) mais qui s’inquièterait pour ceux qu’il n’élève pas, s’ils avaient à faire leurs pas dans une cours d’école fermée comme celle d’une prison.

    Gilles Pénissard, qui soutient

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